Comment devenir une femme aimée ?

 

 

 

Une relecture de Dora avec l’aide du schéma optique

Je vais tenter une relecture d’  » Intervention sur le transfert  » avec le schéma optique pour démontrer comment Dora, à partir de ses identifications viriles, aurait pu réussir, avec l’aide de Freud, du seul fait de son interprétation, a réaliser une identification féminine à Madame K.
Lacan construit le schéma optique pas à pas en se référant d’une part à ces phénomènes qu’il a déjà décrit sous le nom de stade du miroir, mais aussi en prenant appui sur une lecture ligne à ligne du texte de Freud, avec la collaboration de Serge Leclaire,  » Pour Introduire le narcissisme « .


Amour et identification

Il est saisissant de mesurer à quel point, avec l’aide de ce schéma, ce texte prend une singulière acuité notamment en ce qui concerne cette constante réversion entre l’amour et l’identification et, notamment, toute la série que Freud nous donne des différents choix d’objet :
1 – On aime celui qu’on est soi-même,
2 – celui qu’on a été,
3 – celui que l’on voudrait être,
4- celui qui a été une partie de notre propre moi (son enfant).
Cela c’est l’amour de type narcissique.
Mais ce que Freud décrit comme amour par étayage n’en est pas moins narcissique :
5 – l’amour pour la femme qui nourrit.
6 – l’homme qui protège.
Ces objets sont en effet choisis en référence au moi. Il en faut donc très peu, cette oscillation de part et d’autre du miroir, ce passage d’O en O’ pour que l’amour redevienne identification, et pour que l’identification se transfère sur l’objet d’amour.

Quand on est en O, c’est une identification, quand on est en O’ c’est un objet d’amour. J’ai relu en fonction de ce repérage ce que Lacan dit des identifications de Dora et de ses objets d’amour, ce qu’il en dit dans Intervention sur le transfert avant de les repérer dans les Ecrits techniques

Les identifications viriles de Dora

Ce schéma optique avec cette répartition d’un côté l’objet d’amour, de l’autre, l’objet d’identification, m’en a en effet permis d’en faire une nouvelle lecture :
Il décrit le jeu des identifications de Dora, des identifications qui sont des identifications viriles au moyen desquelles elle interroge sa propre féminité au travers de celle de Madame K. Toute la question étant de savoir si elle aurait pu réussir à s’identifier à elle, au cours de l’analyse.
Je reprends ce passage que Vanessa a déjà cité dans son texte parce que outre le fait que cette identification à un objet féminin lui reste inaccessible, il évoque aussi son identification à son frère  » l’imago originelle « .
Comme si son Urbild du moi, sa première forme d’identification ne pouvait être qu’une identification virile, une identification à son frère.  » La femme c’est l’objet impossible à détacher d’un primitif désir oral et où il faut pourtant qu’elle apprenne à reconnaître sa propre nature génitale… . Pour accéder à cette reconnaissance de sa féminité il lui faudrait réaliser cette assomption de son propre corps, faute de quoi elle reste ouverte au morcellement fonctionnel (pour nous référer à l’apport théorique du stade du miroir), qui constitue les symptômes de conversion. Or pour réaliser la condition de cet accès, elle n’a eu que le seul truchement que l’imago originelle nous montre lui offrir une ouverture vers l’objet, à savoir le partenaire masculin auquel son écart d’âge lui permet de s’identifier en cette aliénation primordiale où le sujet se reconnaît comme je… »
Donc Dora est identifié à son frère jumeau, celui de son souvenir écran, mais d’ autres identifications viriles construites sur ce modèle existent également :  » Aussi Dora s’est-elle identifiée à M. K… comme elle est en train de s’identifier à Freud lui-même (le fait que ce fut au réveil du rêve  » de transfert  » qu’elle ait perçu l’odeur de fumée qui appartient aux deux hommes n’indique pas, comme l’a dit Freud, p. 67, qu’il se fût agi là de quelque identification plus refoulée, mais bien plutôt que cette hallucination correspondît au stade crépusculaire du retour au moi). Et tous ses rapports avec les deux hommes manifestent cette agressivité où nous voyons la dimension propre de l’aliénation narcissique « .
Tous ces personnages d’hommes sont -dans la mesure où elle est identifiée à eux, en O du schéma optique, du côté donc de ses identifications et c’est Madame K. qui est en O’, comme étant son objet d’amour.

S’accepter comme objet du désir d’un homme

Pour que Dora puisse s’accepter comme étant l’objet de l’amour d’un homme, de quelle forme d’amour pourrait-il s’agir, en nous repérant sur celles que Freud a décrites ?
Madame K. était pour Dora, me semble-til, celui de la forme 3 :  » l’objet que l’on voudrait être « . Donc Madame K occuperait en O’ la fonction de son idéal du moi, quand il coïncide avec l’objet d’amour.
En s’acceptant elle-même comme objet d’amour en O’ comme objet du désir de Freud, quelle forme aurait-elle pu choisir ? Je propose la forme 1, celle où on s’aime soi-même.
Voici comment le démontrer : Je pars de ce que suggère Lacan dans cette phrase que Vanessa a déjà citée :  » Mais cet hommage dont Freud entrevoit la puissance salutaire pour Dora, ne pourrait être reçu par elle comme manifestation du désir, que si elle s’acceptait elle-même comme objet du désir, c’est-à-dire après qu’elle ait épuisé le sens de ce qu’elle cherche en Mme K… Aussi bien pour toute femme et pour des raisons qui sont au fondement même des échanges sociaux les plus élémentaires (ceux-là mêmes que Dora formule dans les griefs de sa révolte), le problème de sa condition est au fond de s’accepter comme objet du désir de l’homme, et c’est là pour Dora le mystère qui motive son idolâtrie pour Mme K…, tout comme dans sa longue méditation devant la Madone et dans son recours à l’adorateur lointain, il la pousse vers la solution que le christianisme a donnée à cette impasse subjective, en faisant de la femme l’objet d’un désir divin ou un objet transcendant du désir, ce qui s’équivaut « .
D’autre part, dans le texte de Freud, pour introduire le narcissisme il y a également un passage qui nous met sur cette voie d’un franchissement possible de la position hystérique c’est ce qu’il écrit de la forme d’amour qui est typiquement féminine, celle qui tend non pas à aimer mais à être aimée. P. 94 du texte pour introduire le narcissisme, Il écrit :  » … il semble que, lors du développement pubertaire, la formations des organes sexuels féminins… provoque une augmentation du narcissisme originaire, défavorable à un amour d’objet régulier s’accompagnant de surestimation sexuelle. Il s’installe, en particulier dans le cas d’un développement de la beauté, un état où la femme se suffit à elle-même, ce qui la dédommage de la liberté du choix d’objet que lui conteste la société. De telles femmes n’aiment qu’elles mêmes, à peu près aussi intensément que l’homme les aime. Leur besoin ne les fait pas tendre à aimer mais à être aimées et leur plaît l’homme qui remplit cette fonction « .
Donc il faudrait que Dora passe, quant à son choix d’objet, de la forme 3, l’objet que l’on voudrait être, à la forme 1, celui que l’on est soi-même. Mais est-ce que c’est pareil de vouloir être aimée ou de s’aimer soi-même ?
Il aurait pu y avoir entre Dora et Madame K. une sorte de chassé-croisé : Là où était Madame K. en O’, en tant qu’objet d’amour, aurait dû venir Dora. Freud serait devenu non plus le support de son identification virile mais l’homme qui aurait rempli, fictivement, cette fonction de l’aimer. Je dis fictivement, parce que cette fonction aussitôt apparue ne pourrait être que marquée d’interdiction. Les amours oedipiennes revécues dans l’analyse sont en effet des amours interdites.

Autrement dit l’important ce n’est pas tellement le fait que Dora s’identifie à Madame K. en O mais que surtout elle puisse passer de l’autre côté du miroir, en O’ comme cause du désir d’un homme.

La reconnaissance de l’objet viril


Or, dans son texte Intervention sur le transfert, Lacan souligne que c’est dans la mesure où Freud aurait fait reconnaître à Dora, quel était le réel objet de son intérêt, qu’il aurait pu jouer, lui son rôle, son rôle d’homme, il y parle de  » prestige « . Voici ce passage :  » Si Freud en un troisième renversement dialectique eût donc orienté Dora vers la reconnaissance de ce qu’était pour elle Mme K…, en obtenant l’aveu des derniers secrets de sa relation avec elle, de quel prestige n’eût-il pas bénéficié lui-même (nous amorçons ici seulement la question du sens du transfert positif), ouvrant ainsi la voie à la reconnaissance de l’objet viril.  »
Quelle est cette reconnaissance de l’objet viril qui doit accompagner, être concommitante avec le fait d’accepter d’être désirée et aimée par un homme ?
J’ai retenu cette piste possible : le fait que Freud nous parle d’une autre forme d’amour, un choix d’objet par étayage, dont il donne deux exemples, la femme qui nourrit, l’homme qui protège. Or, il me semble que si Freud avait pu réoccuper simplement la place de son père, dans le premier rêve de Dora, celui qui aurait pu la sauver des dangers que lui faisait courir la  » boîte à bijoux de sa mère « , assumant donc la phrase du père  » je ne veux pas que mes deux enfants périssent brûlés/noyés à cause de ta boite à bijoux « , il aurait pu alors pleinement assumer ce qu’il en est de la fonction paternelle, libérer Dora du joug du désir de sa mère.
Et cela aurait été d’autant plus souhaitable que prise dans son désir, dans le désir de l’Autre, elle n’y jouait qu’un rôle subsidiaire, son frère y étant le véritable objet phallique de sa mère, son objet valorisé. Ce qui ne pouvait que la laisser strictement en rade par rapport à cette place d’objet métonymique de la mère, qu’elle ne pouvait occuper ne serait-ce qu’un temps.

En la sortant de cette position plus qu’inconfortable, c’est ainsi que Freud aurait pu devenir, je dirais à peu de frais et sans trop de complications, l’homme qui protège, l’homme qui sauve, mais aussi l’homme qui – en fonction de toutes les équivalences symboliques du verbe sauver – aurait pu lui donner un enfant. Mais du même coup ne l’aurait-il pas sauvé également de l’imbroglio dans lequel elle était enfermée entre Madame K et les deux complices de sa trahison, son père et Monsieur K., tandis que la mère de Dora était laissée pour compte, trahie, tout comme sa fille ?

3 Comments

  1. J’ai retenu cette piste possible : le fait que Freud nous parle d’une autre forme d’amour, un choix d’objet par étayage, dont il donne deux exemples, la femme qui nourrit, l’homme qui protège

  2. michel boutin Reply

    Bonjour,
    impossible d’accéder au illustrations de comment devenir une femme aimée!
    sinon toujours très intéressant de suivre l’usage fait du graphe du désir qui me parait être la vraie plaque tournante de la topologie de Lacan.
    Bien à vous,
    Michel Boutin

  3. Fainsilber Reply

    D’accord avec vous pour ce graphe plaque tournante de la topologie lacanienne. On en retrouve les traces très tard dans le séminaire jusqu’au moment où il cède la place au noeud borroméen.

    Je vais essayer de retrouver ces schémas qui ont en effet disparus.

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