Notes sur l’objet a et l’objet partiel

emmelesDans le séminaire l’Angoisse
Si je vous ai proposé de bien travailler d’abord cette question de l’objet a et dans la formule du fantasme et comme objet de la pulsion c’est qu’il permet à Lacan de franchir un pas décisif dans sa lecture du texte de Dora.
Je vous en indique ce passage dans le séminaire du 9 janvier 1963 :
«… je crois que la référence au transfert, à la limiter simplement aux effets de répétition, aux effets de reproduction, est quelque chose qui mériterait d’être tout à fait étendu. La dimension diachronique risque donc à force d’insister sur l’élément historique, sur l’élément répétition du vécu, risque en tout cas, risque de laisser de côté toute une dimension non moins importante qui est précisément ce qui peut apparaître, ce qui est inclus, latent, dans la position de l’analyste, par quoi gît dans l’espace qu’il détermine la fonction de cet objet partiel… Je crois que cette analyse de la fonction de l’analyste comme espace du champ de l’objet partiel, c’est précisément ce devant quoi, du point de vue analytique, nous a arrêté Freud dans son article analyse finie et infinie. Si on part de l’idée que la limite de Freud, ça a été, on la retrouve dans toutes ses observations, la non-aperception de ce qu’il y avait à proprement à analyser dans la relation synchronique de l’analysé et de l’analyste concernant cette fonction de l’objet partiel, on y verra le ressort même de son échec, de l’échec de son intervention avec Dora, avec la femme du cas d’homosexualité féminine… »
Il continue donc sur cette voie mais si j’arrête là, c’est donc pour bien préciser, avant de poursuivre la démonstration de Lacan ce qu’est cet objet partiel ainsi d’ailleurs que ce qu’il appelle de façon je trouve surprenante la fonction de l’analyste comme « espace de cet objet partiel ».
Quand nous aurons bien travaillé ce que Lacan nous raconte de cet objet partiel et de l’objet a, pour l’instant je ne sais si on peut les confondre, nous aurons la surprise de voir en quelque sorte réhabilité, mis à l’honneur le texte de Maurice « Importance de la prise de conscience de l’envie du pénis dans la cure d’une névrose obsessionnelle féminine ». En effet ce fantasme d’incorporation du phallus de l’analyste servira de tremplin à Lacan pour démontrer cette fonction de l’objet partiel que l’analyste est sensé détenir. Mais il ne s’en sert que pour mieux élever cet objet fantasmatique de l’analyste, au rang de signifiant, grand phi.
Il y a dans le début de ce séminaire l’angoisse, une formulation algébrique de cet objet a, comme reste de l’opération subjective. Dans la séance du 21 novembre. L’Autre est le lieu du signifiant. Par rapport à cet Autre le sujet s’incrit comme un quotient, il est marqué du trait unaire. Il y a un reste, au sens de la division, c’est le a.
« Le fantasme, appui de mon désir, est dans sa totalité du côté de l’Autre, Ce qui est de mon côté maintenant c’est justement ce qui me constitue comme inconscient, à savoir A barré, l’Autre en tant que je ne l’atteins pas ».
Il essaie aussi de démontrer sa fonction dans la formule du fantasme et aussi comme objet de la pulsion.
Pour l’instant, je préfère partir plutôt des deux exemples littéraires qui m’ont paru éclairant quant à cette fonction de l’objet a, l’exemple d’Hamlet et d’Ophélie et de Nathanaël avec la poupée Olympia.Avec Ophélie, objet a d’Hamlet

Ceux qui le souhaite pourrait aller relire tout ce que Lacan en a raconté dans le désir et son interprétation, mais là, je reprends juste ce qu’il en dit dans le séminaire du 28 novembre de ‘L’angoisse ».
Lacan différencie la scène du monde et L’Autre scène, celle du rêve telle que Freud l’a décrite mais qui est en fait plus vaste, celle « où toutes les choses du monde viennent à se dire, à se mettre en scène selon les lois du signifiant ».
Mais il fait aussi une diversion sur ce qu’on a appelé dans cette pièce de Shakespeare « la scène dans la scène », celle où Hamlet met en scène le forfait du roi, le meurtre de son père avec la complicité de sa mère. Ce que Lacan fait remarquer c’est que dans cette scène, c’est Hamlet qui devient lui-même le meurtrier en jouant le rôle du roi. Et c’est ainsi qu’il définit l’image spéculaire d’Hamlet. Mais il oppose à cette image, une autre forme d’identification, celle à l’objet du deuil, qui a lieu dans le cimetière, au moment où Ophélie est mise au tombeau.
( c’est dans le séminaire du 28 novembre 1962 ) « C’est dans la mesure où une identification tout à fait différente que j’ai appelé identification avec Ophélie, c’est dans la mesure où l’âme furieuse d’Ophélie… c’est au moment de la révélation de ce qu’a été pour lui cet objet négligé, méconnu, que nous voyons là jouer dans Shakespeare à nu cette identification à l’objet du deuil … Cette identification à l’objet du deuil… l’entrée en Hamlet de la fureur de l’âme féminine, c’est ce qui lui donne la force de devenir à partir de là, ce somnambule qui accepte tout, jusque et y compris dans le combat d’être celui qui tient l’enjeu, qui tient sa partie pour son ennemi, le roi lui-même, contre son image spéculaire qui est Laërte. »
Nous avons ici la distance qu’il y a entre deux sortes d’identifications imaginaires, celle au a et au i (a).
Celle au i (a), l’image spéculaire telle qu’elle nous est donnée au moment de la scène sur la scène. Celle au a : « celle plus mystérieuse dont l’énigme commence là d’être développée, à quelque chose d’autre, l’objet, l’objet du désir comme tel, sans aucune ambiguïté désigné dans l’articulation shakespearienne comme tel puisque c’est justement comme objet du désir qu’il a été jusqu’à un certain moment négligé, qu’il est réintégré sur la scène par la voie justement de l’identification dans la mesure ou comme objet il vient à disparaître, que l’on peut dire la dimension rétroactive… cet objet du désir dont ce n’est pas pour rien que désir en latin se dit désiderium, à savoir cette reconnaissance rétroactive, cet objet qui était là… »

Avec Olympia, la poupée automate, celle qui a été fabriquée avec les yeux de Nathanaël.

C’est dans le séminaire du 5 décembre que Lacan, à propos de l’inquiétante étrangeté dont il fait le paradigme de l’angoisse, évoque donc l’histoire de l’Homme au sable, l’un des contes d’Hoffmann.
« L’homme trouve sa maison en un point situé dans l’Autre, au delà de l’image dont nous sommes faits et cette place représente l’absence où nous sommes. A supposer ce qui arrive qu’elle se révèle pour ce qu’elle est, la présence ailleurs qui fait cette place comme absence, alors elle est la reine du jeu. Elle s’empare de l’image qui la supporte et l’image spéculaire devient l’image du double … en nous faisant apparaître comme objet de nous révéler la non-autonomie du sujet. Tout ce que Freud a repéré comme exemple dans les textes hofmanniens qui sont au cœur d’une telle expérience, l’homme au sable et son atroce histoire dans laquelle on voit le sujet rebondir de captations en captations devant cette sorte d’image qui à proprement parler matérialise le schéma ultra-réduit qu’ici je vous en donne, mais la poupée dont il s’agit, que le héros du conte guette derrière la fenêtre du sorcier … C’est proprement cette image dans l’opération de la compléter par ce qui en est la forme même du conte absolument distingué l’œil. Et l’œil d’ont il s’agit ne peut être que celui du héros du conte. […] En ce point heim, ne se manifeste pas simplement ce que vous savez depuis toujours, à savoir que le désir est toujours désir de l’Autre, ici désir dans l’Autre, mais que mon désir entre dans l’Autre où il est attendu de toute éternité sous la forme de l’objet que je suis, en tant qu’il m’exile de ma subjectivité en résolvant par lui-même tous les signifiants à quoi cette subjectivité est attachée. « S barré désir de a, formule du fantasme, je dirais, pour le dire sous une forme humoristique, que l’Autre s’évanouisse, se pâme, devant cet objet que je suis, déduction faite de ce que je me vois. »
Dans le texte de Freud sur l’Inquiétante étrangeté, on voit bien comment Olympia qui est une image détachée de Nathanaël, ses yeux transplantés sur la poupée Olympia, greffés sur elle, en apportant la preuve. Olympia est sa sœur jumelle, son double féminin, au moyen duquel il désire se faire aimer du père comme une femme.
On a ainsi mis en scène, l’objet partiel sous la forme des yeux de Nathanaël, et aussi Olympia double de Nathanaël qui lui sert de truchement pour se faire objet a dans le désir de l’Autre, dans le désir du père.
C’est ce que confirme cette longue note de Freud dans son texte l’inquiétante étrangeté :
« Cette poupée automate ne peut être autre chose que la matérialisation de l’attitude féminine de Nathanaël envers son père dans sa première enfance. Les pères de celle-ci, – Spalanzani et Coppola, – ne sont que des rééditions, des réincarnations des deux pères de Nathanaël; l’allégation, qui serait sans cela incompréhensible, de Spalanzani, d’après laquelle l’opticien aurait volé les yeux de Nathanaël (voir plus haut) pour les poser à la poupée, acquiert ainsi une signification en tant que preuve de l’identité d’Olympia et de Nathanaël. Olympia est en quelque sorte un complexe détaché de Nathanaël qui se présente à lui sous l’aspect d’une personne; la domination exercée par ce complexe trouve son expression dans l’absurde amour obsessionnel pour Olympia. Nous avons le droit d’appeler cet amour du narcissisme, et nous comprenons que celui qui en est atteint devienne étranger à l’objet d’amour réel. Combien il est exact, psychologiquement, que le jeune homme fixé au père par le complexe de castration devienne incapable d’éprouver de l’amour pour la femme, c’est ce que démontrent de nombreuses analyses de malades dont la matière est moins fantastique, mais guère moins triste que l’histoire de l’étudiant Nathanaël. »
Je n’ai pas encore bien cerné cette question de l’objet partiel mais simplement essayé de voir comment il joue son rôle dans les deux exemples que Lacan donne du fantasme. Dans le premier exemple, celui d’Ophélie, je ne sais pas quel objet partiel pouvait être en cause. On peut supposer que c’est là aussi l’œil puisque c’est en voyant la scène qu’il a pu éprouver rétro-activement quel objet elle a été.
Mais peut-on rajouter qu’il s’est peut-être identifiée à Ophélie, qui elle, s’était sacrifiée, objet a, sur la tombe de son père, répondant à son désir, lui donnant la force d’en faire autant ?

Dans la même veine, qu’en est-il de Dora et de son frère dans l’amour de leur mère ?


Si on reprend ce lointain souvenir écran de Dora où elle se voit tiraillant l’oreille de son frère assis tout contre elle et suçant son pouce. Ne peut-on en déduire, en effectuant un rapprochement avec les deux scènes précédentes, que son frère en tant qu’objet a est celui qui répond au désir de sa mère. Il en effet son préféré et il prend toujours son parti dans les dissensions familiales.
Est-ce que l’objet partiel n’est pas le sein, dont le pouce est le substitut ?

En tout cas ce qui mérite d’être retenu c’est ce que Lacan avance de la fonction de l’analyste comme « espace et champ de l’objet partiel ». Ca vaut la peine de ne pas en rater la première énonciation parce que je pense que c’est à partir de là que Lacan a commencé à échafauder toutes ses thèses sur la Passe. Comme j’ai choisi ce mot « échaffauder » cela laisse deviner qu’elles ne m’emballent vraiment pas. D’ailleurs, après quelques années il les a de lui-même abandonnées, en constatant leur échec.

Ce qui ne retire rien au repérage qu’il a effectué de ce lien singulier du désir de l’analysant au désir de l’analyste dans la synchronie, opposée à la diachronie de son histoire revécue, reconstituée dans le transfert.

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