10 – Moustache et monocle du père

Au bas de la page 119 Freud décrit ce qui s’est passé au cours de sa rencontre avec le Petit-Hans en présence de son père. Nous assistons sans doute ainsi à la première séance d’une analyse d’enfant. On y découvre il me semble le côté primesautier de Freud, sa spontanéité.

«  Cet après-midi là, le père et le fils vinrent me voir à ma consultation. Je connaissais déjà le drôle de petit bonhomme et, avec toute son assurance, il était si gentil que j’avais eu chaque fois plaisir à la voir. Je ne sais s’il se souvenait de moi, mais il se comporta de façon irréprochable et comme un membre tout à fait raisonnable de la société humaine. La consultation fut courte. Le père commença par dire que, malgré tous les éclaircissements donnés à Hans, sa peur des chevaux n’avait pas diminué. »

Donc malgré tout ce travail de symbolisation déjà effectué par le Petit Hans et notamment avec l’aide de sa girafe chiffonnée, il n’y a donc pas d’amélioration de ses symptômes. Ce qu’il vont alors aborder comme question c’est celle-ci : « Nous dûmes aussi convenir que les rapports étaient fort peu nombreux entre les chevaux dont il avait peur et les aspirations de tendresse envers sa mère qui s’étaient révélées. »

Mais Freud apprend deux détails de plus qui vont lui donner une piste et même le mettre sur la voie d’une nouvelle interprétation. « Il était particulièrement gêné par ce que les chevaux ont devant les yeux et par le noir qu’ils ont autour de la bouche ». Il les rapproche en effet du monocle et de la moustache de son père : «  Comme je regardais le père et le fils tous deux assis devant moi […] une nouvelle partie de la solution du problème me vint tout à coup à l’esprit, partie dont je compris qu’elle ait pu échapper au père ».
En effet Freud découvre cette solution par la vue du père, on pourrait presque dire la dégaine du père : « Je demandais à Hans sur un ton de plaisanterie si ses chevaux portaient binocle, ce qu’il nia, puis si son père portait un binocle, ce qu’il nia aussi, contre toute évidence ; je lui demandai si par le noir autour de la bouche il voulait dire la moustache, et je lui révélai alors qu’il avait peur de son père justement parce qu’il aimait tellement sa mère. Il devait en effet que son père lui en voulait de cela mais ce n’était pas vrai, son père l’aimait tout de même, il pouvait sans crainte tout lui avouer ».

Par cette formule, le fait qu’il puisse tout lui avouer, il me semble qu’on trouva là la difficulté de cette analyse par le père. Ce n’est pas la même chose d’avouer cette peur de représailles à l’analyste où à celui qui est directement concerné par ces affects. Dans les phrases qui suivent, Freud invente pour le Petit Hans un mythe de l’Oedipe «  Bien avant qu’il ne vint au monde, j’avais déjà su qu’un Petit Hans naîtrait un jour qui aimerait tellement sa mère qu’il serait par suite forcé d’avoir peur de son père, et je l’avais annoncé à son père. »

Mais justement Freud rapporte à la suite de son intervention, un échange du père et de son fils très éclairant quant à ce risque de représailles venant de son père. Il prouve en effet que ce risque est réel : «  Pourquoi, crois-tu donc – m’interrompit alors le père de Hans – que je t’en veuille ? T’ai-je grondé ou battu ? » – « Oh ! Oui , tu m’as battu, corrigea Hans ! »[…] et son père se rappela que Hans, tout à fait à l’improviste, lui avait donné un coup de tête dans le ventre, ce sur quoi il lui avait répondu à la façon d’un réflexe, un coup avec la main. »

En revenant de cette « consultation », Hans demanda à son père « si Freud parlait avec le Bon Dieu pour qu’il puisse savoir tout ça d’avance ». Cette remarque était peut-être comme une reconnaissance de la justesse de son interprétation. Il a reconnaissait implicitement pour vraie. Il sera intéressant de repérer dans les pages qui suivent les effets de cette interprétation.

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