Une vision d’horreur, la gorge d’Irma

Dans la séance précédente, celle du 9 février 1956, Lacan a commencé à lire ce rêve de l’injection faite à Irma avec l’aide du schéma L. Il inscrit ainsi sur l’axe imaginaire du schéma (du petit autre au moi), toute la première partie de ce rêve où Freud s’identifie avec toute la série des femmes puis des hommes qui ont été invités à discuter avec lui de l’état de santé d’Irma. sur l’axe symbolique (du grand A au S), Il inscrit ce qu’il appelle « sa conversation inconsciente avec Fliess, ce qui correspond donc à son auto-analyse. Nous avons donc là une première vue d’ensemble de la structure de ce rêve.

Dans cette seconde séance du 9 mars 1956, il indique : «  ce rêve nous allons le prendre avec notre point de vue de maintenant » et donc notamment avec la notion du signifiant et surtout avec les trois registres du symbolique, de l’Imaginaire et du Réel.

Valabrega lit le texte du rêve puis Lacan rappelle les circonstances de ce rêve en mettant en avant d’emblée ce terme de « Lösung » qui est aussi équivoque en allemand qu’en français, celui de « Solution ». «  Freud, dit-il, a le sentiment d’avoir bien proposé la bonne solution à Irma » et c’est la même solution qui a été mise dans la seringue sale qui a provoqué une infection.

Lacan fait ensuite une remarque qui mérite, elle aussi, attention, le fait que « Freud considère comme un grand succès d’avoir pu expliquer ce rêve dans tous ses détails, par le désir de se décharger de sa responsabilité dans l’échec du traitement d’Irma » alors que ce désir n’est après tout que la manifestation d’un désir conscient.

Qu’il ne nous ai pas fait part de ce qu’il en était de son désir inconscient qui pourrait le lui reprocher ? « Quand Freud interrompt ses associations, il a ses raisons pour cela. Il nous dit « ici, je ne peux pas vous en dire plus long, je ne veux pas vous raconter les histoires de lit et de pot de chambre – ou bien ici je n’ai pas envie de continuer à associer. Il ne s’agit pas d’exégéter là où Freud s’interrompt lui-même, mais de prendre, nous l’ensemble du rêve et de son interprétation. Là nous sommes sur une position différente de celle de Freud. » Autrement dit, il n’est pas question d’analyser le désir inconscient de Freud mais de mettre en exercice la petite formule que nous propose Lacan dans cette séance.

Il prête tout d’abord attention au texte du rêve, donc à la façon dont le symbole a été imaginé. Il explore l’imaginaire de ce rêve et le suit ligne à ligne en s’intéressant dans le récit de ce rêve d’abord à la résistance, la résistance des femmes, qu’il décrit d’abord comme une sorte de réticence à l’examen médical, celle d’Irma, mais aussi, par associations, celle d’autres femmes y compris celle de Martha.

Pour ma part, ce qui m’a surprise dans le texte de ce rêve, c’est le fait qu’il attribue au rêve une origine, une cause psychique, ce qui est proprement révolutionnaire, par rapport à toute la littérature sur le rêve, et que pourtant tout, dans le texte de ce rêve, tout y parle du corps. Les références anatomiques y sont nombreuses et notamment celle de la gorge d’Irma. Le contexte est médical et on y parle de maladies. Lacan indique que « nous sommes là à un premier niveau, où le dialogue reste asservi aux conditions de la vie réelle, en tant qu’elle est elle-même entièrement engluée dans les conditions imaginaires qui la limitent, et qui font pour l’instant difficulté à Freud ».

Une étape est franchie dans ce rêve lorsque Freud regarde au fond de la gorge d’Irma. Ici apparaît le Réel avec l’horreur qu’il suscite. Lacan le décrit ainsi «  Ceci va très loin, jusqu’à ce que, ayant ouvert la bouche de la patiente, ayant obtenu qu’elle ouvre la bouche – c’est de cela qu’il s’agit dans la réalité, elle n’ouvre pas la bouche – ce qu’il voit au fond est quelque chose dont il faut voir dans les associations le caractère, c’est un spectacle affreux, horrible, épouvantable, cette bouche avec toutes les significations d’équivalences que vous voudrez […] ceci va de l’organe sexuel féminin en passant par la bouche, jusqu’au nez […] Il y a là une découverte, horrible découverte ! »

La plupart des rêveurs, devant cette découverte, se seraient réveillés, mais lui, Freud, est d’une autre trempe, il passe outre. Le rêve continue donc, il y a une deuxième partie. Pour l’instant, je ne vais pas plus loin, j’ai besoin de reprendre mon souffle.

Mais j’en profite pour poser une question annexe : Alors que la gorge d’Irma provoque la terreur, comment en va-t-il tout autrement de l’effet que provoque la déesse Baubô lorsqu’elle montre sa vulve à Déméter en lui racontant des grossièretés.  Pourquoi  a-t-elle  en effet un pouvoir de consolation et lui permet-elle  de quitter le deuil, après l’enlèvement de sa fille, Perséphone?

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