Pourquoi les métaphores guerrières sont-elles toujours utilisées à propos de la résistance ?

Dès l’introduction de l’analyse de l’Homme aux loups (p. 175), Freud indique que les résistances de son analysant avaient été d’une telle intensité que pour les vaincre il avait dû utiliser une méthode en parfaite contradiction avec ce qu’il affirmait dans le paragraphe précédent de ce texte, que l’inconscient ne connaît pas le temps et que l’analyste doit donc s’armer de patience.

Freud pose un ultimatum à son analysant !

Il décrit ainsi les difficultés rencontrées et les raisons de sa décision : « Le patient dont je m’occupe ici resta longtemps retranché de façon inattaquable derrière une attitude de non participation docile. Il écoutait comprenait et ne se laissait approcher en rien. Son intelligence irréprochable était comme coupée des forces pulsionnelles, qui dominaient son comportement dans le peu de relations qui lui étaient restées dans la vie […] Il ne se trouva qu’un seul chemin pour la surmonter. Je dus attendre jusque à ce que l’attachement à ma personne fût devenu assez fort pour lui faire équilibre, puis je jouai ce facteur contre l’autre. Je déterminai, non sans me laisser conduire par de bons indices d’opportunité, que le traitement devait être achevé à telle date, quelque fût son degré d’avancement. J’étais décidé à m’en tenir à cette date ; Le patient crut enfin à mon sérieux. Sous la pression impitoyable de ce délai, sa résistance, sa fixation sur la maladie cédèrent… »

C’est quand même un vigoureux chantage au transfert. Freud le décrit comme un procédé analogue à l’hypnose qui relève donc de la suggestion.

Cela vaudrait la peine de reprendre ce qu’en dit Lacan à la fin des formations de l’inconscient, que l’analyste ne se sert de cette suggestion que pour lui permette d’accéder, par l’interprétation, pour lui donner accès aux signifiants inconscients de sa demande (la demande de l’analysant). Apparemment c’est ce que fait Freud, c’est sa visée. Pourtant il y a quelque chose qui ne va pas dans ce chantage exercé sur l’analysant. Ne serait-ce pas ce travail de symbolisation de ce qui a été refoulé et qui ne peut pas être obtenu dans l’hypnose?

Quelles pouvaient être les motivations de Freud par rapport à cette décision ? On ne peut bien sûr préjuger de ses vraies raisons, mais quand même la métaphore guerrière qu’il utilise peut nous mettre sur la voie. A propos du déroulement de ce « traitement », il écrit « C’est la même situation que lorsqu’une armée ennemie a besoin de semaines et de mois pour faire un trajet qui en temps de paix, est couvert en peu d’heures de train et que l’armée du pays a parcouru peu avant en quelques jours ».

Entre lui et Sergei c’était donc la guerre ouverte. Qui des deux gagnerait ? Par son ultimatum, c’est Freud qui pensait triompher, triompher de la résistance.

En note de ce préambule à l’histoire de l’Homme aux loups, Freud nous indique que la plupart de des questions théoriques que cette analyse a soulevées ont été reprises dans son ouvrage « Introduction à la psychanalyse ». A cette question de la résistance est consacré tout un chapitre qui a pour titre « Résistance et refoulement » .

Toutes les formes que peut revêtir la résistance

Celui qui vient en analyse pour guérir de ses symptômes et donc pour aller mieux résiste pourtant de toutes ses forces aux effets de l’analyse et ce du début jusqu’à la fin. A la fin, on trouve par exemple ce que Freud appelle « la réaction thérapeutique négative » ou encore « le refus de guérir ».

Dans ce texte, Freud va énumérer et décrire toutes les formes de résistances. Elles revêtent de nombreux masques.

1 – Résistance à la règle fondamentale

La première des résistances est de fait provoquée par l’énoncé de la règle fondamentale, celle de tout dire, de dire tout ce qui vous vient à l’esprit sans porter de jugement sur les idées qui vous viennent aussi incongrues ou inconvenantes qu’elles vous paraissent.

Freud nous l’affirme : « Nous savons déjà, par les résultats obtenus par l’interprétation des rêves, que ce sont précisément les idées et les souvenirs qui soulèvent le plus de doutes et d’objections qui renferment généralement les matériaux les plus susceptibles de nous aider à découvrir l’inconscient ».

Autrement dit, dès cette première approche de ce qu’est la résistance, on s’aperçoit qu’elle est en somme le meilleur indice de ce qui est là refoulé et près d’être découvert, mis à jour. C’est ce que Freud appelle dans l’interprétation des rêves, « le colophon du doute ». Le colophon c’est une petite main avec un doigt pointé qui attire l’attention sur telle ou telle partie d’un manuscrit.

Donc la première résistance est liée à l’énoncé de la règle fondamentale elle-même. Tout est fait pour ne pas la respecter y compris le choix du silence.

Or là aussi ce silence est un bon indice. Je ne sais plus si c’est Freud ou si c’est Lacan qui le dit, peut-être les deux, en tout cas, dès que l’analysant se tait, c’est le signe qu’il est occupé par une pensée concernant l’analyste. Donc c’est là que se conjoignent d’emblée cette première résistance à la règle à celle du transfert qu’il abordera quelques pages plus loin.

Au milieu de la page 270, Freud aborde en somme la façon de détourner cette règle suivant la forme de sa névrose.

« Les névrosés obsessionnels s’entendent fort bien à rendre à peu près inapplicable la règle de la technique en exagérant les scrupules de conscience et leurs doutes. Les hystériques angoissés réussissent même à l’occasion à la réduire à l’absurde en n’avouant qu’idées, sentiment et souvenirs tellement éloignés de ce qu’on cherche que l’analyse porte pour ainsi dire à faux. »

2 – Résistance intellectuelle à la psychanalyse et à la théorie analytique elle-même.

« … la résistance vaincue d’un côté se transporte aussitôt dans un autre domaine. On voit en effet se produire une résistance intellectuelle qui combat à l’aide d’arguments, s’empare des difficultés et invraisemblances que la pensée normale, mais mal informée, découvre dans les théories analytiques. Nous entendons alors de la bouche de ce seul malade toutes les critiques et objections dont le chœur nous assaille dans la littérature scientifique, comme, d’autre part, les voix qui nous viennent du dehors ne nous apportent rien que nous n’ayons déjà entendu de la bouche de nos malades. Une vraie tempête dans un verre d’eau. Mais le patient souffre bien qu’on lui parle ; il veut bien qu’on le renseigne, l’instruise, le réfute, qu’on lui indique la littérature où il puisse s’informer. Il est tout disposé à devenir partisan de la psychanalyse, mais à condition que l’analyse l’épargne, lui personnellement. Nous sentons dans cette curiosité une résis¬tance, le désir de nous détourner de notre tâche spéciale. »

3 – Une forme spéciale de résistance intellectuelle, celle des névrosés obsessionnels, à propos des découvertes liées à l’analyse de chacun.

Cette forme spéciale de résistance est de fait celle que Freud nous décrit dans l’analyse de l’Homme aux loups. Elle porte non pas sur les découvertes de la psychanalyse en tant que science de l’inconscient, mais sur les découvertes de sa propre analyse, donc dans sa singularité :

« Chez les névrosés obsessionnels, la résistance se sert d’une tactique spéciale. Le malade nous laisse sans opposition poursuivre notre analyse qui peut ainsi se flatter de répandre une lumière de plus en plus vive sur les mystères du cas morbide dont on s’occupe ; mais finalement on est tout étonné de constater qu’aucun progrès pratique, aucune atténuation des symptômes ne correspondent à cette élucidation. Nous pouvons alors découvrir que la résistance s’est réfugiée dans le doute qui fait partie de la névrose obsessionnelle et que c’est de cette position retirée qu’elle dirige contre nous sa pointe. Le malade s’est dit à peu près ceci : « Tout cela est très beau et fort intéressant. Je ne demande pas mieux que de continuer. Cela changerait bien ma maladie, si c’était vrai. Mais je ne crois pas du tout que ce soit vrai et, tant que je n’y crois pas, cela ne touche en rien à ma maladie. » Cette situation peut durer longtemps, jusqu’à ce qu’on vienne attaquer la résistance dans son refuge même, et alors commence la lutte décisive ».

Ce passage peut être mis en concordance avec ce que Freud nous décrit dans son texte des cinq psychanalyses, des résistances de Sergei.

« Le patient dont je m’occupe ici resta longtemps retranché de façon inattaquable derrière une attitude de non-participation docile. Il écoutait, comprenait et en se laissait approcher en rien. »

4 – Résistance et transfert

Une phrase sert de charnière entre les deux sortes de résistances qui précédent et celle liée au transfert, elle indique que là doit porter l’action, pour ne pas dire l’acte du psychanalyste : « Cette situation peut durer longtemps, jusqu’à ce qu’on vienne attaquer la résistance dans son refuge même, et alors commence la lutte décisive ». Le refuge dernier de la résistance et donc là où elle doit être attaquée, c’est au point où la répétition est mise en jeu dans le transfert.

Nous avons désormais sur les bras trois termes, trois concepts de la théorie analytique, en plus de la résistance, il faut donc y mettre en jeu ce qu’il en est des rapports du transfert et de la répétition.

Voici comment dans ce texte tout au moins, Freud les articule les uns aux autres.

« Au lieu de se souvenir, il reproduit des attitudes et des sentiments de sa vie qui, moyennant le « transfert », se laissent utiliser comme moyens de résistance contre le médecin et le traitement. Quand c’est un homme, il emprunte généralement ces matériaux à ses rapports avec son père dont la place est prise par le médecin : il transforme en résistances à l’action de celui-ci ses aspirations à l’indépendance de sa personne et de son jugement, son amour-propre qui l’avait poussé jadis à égaler ou même à dépasser son père, la répugnance à se charger une fois de plus dans sa vie du fardeau de la reconnaissance. On a par moments l’impression que l’intention de confondre le médecin, de lui faire sentir son impuissance, de triompher de lui, l’emporte chez le malade sur cette autre et meilleure intention de voir mettre fin à sa maladie. Les femmes s’entendent à merveille à utiliser en vue de la résistance un «transfert » où il entre, à l’égard du médecin, beaucoup de tendresse, un sentiment fortement teinté d’érotisme. Lorsque cette tendance a atteint un certain degré, tout intérêt pour la situation actuelle disparaît, la malade ne pense plus à sa maladie, elle oublie toutes les obligations qu’elle avait accep¬tées en commençant le traitement ; d’autre part, la jalousie qui ne manque jamais, ainsi que la déception causée à la malade par la froideur que lui manifeste sous ce rapport le médecin, ne peuvent que contribuer à nuire aux relations personnelles devant exister entre l’une et l’autre et à éliminer ainsi un des plus puissants facteurs de l’analyse ».

Donc dans le transfert, ce qu’il privilégie comme entraînant la résistance, c’est le lien au père, soit du côté de la rivalité et de la haine, soit du côté de l’amour.

Peut-être peut-on déjà voir là un point de résistance de Freud lui-même, pour les hommes, il privilégie le transfert négatif, pour les femmes le transfert amoureux, or ces deux formes d’amour et de haine du transfert sont mises en exercice aussi bien dans l’analyse des hommes et des femmes.

Dans les phrases qui suivent Freud nous indique que c’est du maniement transfert que dépend le fait que les résistances puissent être levées mais il ne nous dit pas comment tout au moins jusqu’à la page 272, point où je me suis arrêtée.

Ce qui m’a quand même frappé dans la première partie de ce texte c’est le fait que le point d’acmé de la résistance, quand il l’aborde cliniquement, est lié par Freud à l’amour/haine pour le père dont l’analyste reprend, si je puis dire le flambeau dans l’analyse.

En attendant d’avoir travaillé le texte de l’homme aux loups, est-ce que ça ne pourrait se vérifier du côté de l’Homme aux rats, voire du côté de Dora ?

Venant en apparente contradiction de ce transfert privilégié au père, je pense quand même à ce que décrivait Bouvet à propos de l’analyse de Renée. Lui décrivait « un assouplissement du surmoi féminin infantile » qui avait permis la levée des résistances. Lacan rectifie en parlant de surmoi maternel infantile ». Peut-être est-ce une autre façon de réintroduire, là encore, le père et la Loi, pour décrire ce qui avait été décisif pour la levée des résistances et donc l’accès au désir inconscient.

Le lien du transfert à la résistance est encore à remettre sur le chantier.

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