L’héritage du père, à propos des questions d’argent dans l’analyse

Nous en sommes donc au milieu de la page 226 du gardiner, tout de suite après ce long passage sur la technique d’exposition de cette analyse, sa mise en perspective, Freud aborde donc ce qu’il appelle l’érotisme anal de l’analysant sous la forme de son rapport névrotique à l’argent. Par rapport à cette partie du texte il serait intéressant de relire également un autre texte de Freud qui le complète «  Sur les transpositions des pulsions tout particulièrement dans l’érotisme anal ».

C’est amusant que nous abordions cette question de l’argent, dans l’analyse de l’Homme aux loups,  juste au moment où en France on ne parle que des grosses valises de billets venant d’Afrique et arrivant à l’Elysée. Pour Sergeï, ces grosses valises venaient de Russie. Elles étaient dues à la fortune du père et de son oncle. C’est le moment d’aller vérifier dans l’histoire de sa vie quelles étaient les sources de cette fortune et peut-être aussi la date de la mort de son père. Elle ne doit pas être sans importance par rapport aux péripéties de sa névrose.

Les pulsions anales ont une importance « extraordinaire », écrit Freud,   en raison de toutes leurs transpositions, dans toute la vie psychique et « dans la construction de la vie sexuelle ».

Parmi toutes ces transpositions se trouve celle de l’intérêt pour l’argent. C’est d’ailleurs à partir de cette transposition des selles à l’argent que se pose toute la question du paiement des séances d’analyse, si comme le souligne Freud ces composantes anales sont importantes pour toute la vie sexuelle et la vie psychique, les deux étant au reste dans le prolongement l’une de l’autre si ce n’est une seule et même chose quand on pense à ce qu’on appelle érotisme de la pensée.

C’est donc dans ce contexte que Freud aborde la question de l’argent :

«  … L’une des extériorisations les plus importantes de l’érotisme transformé à partir de cette source (anale) se trouve dans le traitement de l’argent, cette matière précieuse qui a attiré à elle au cours de la vie l’intérêt psychique qui était dû originellement aux fèces, au produit de la zone anale. Nous nous sommes habitués à ramener l’intérêt pour l’argent, dans la mesure où il est de nature libidinale et non rationnelle, au plaisir pour les excréments et à exiger de l’homme normal qu’il garde son rapport à l’argent complètement libre d’influences libidinales et le règle selon des considérations fondées sur la réalité. »

Quels étaient les problèmes de Sergeï avec l’argent ? C’est là que nous allons en apprendre un peu plus sur sa névrose adulte : « Chez notre patient, son rapport (avec l’argent) était perturbé dans une mesure particulièrement grave à l’époque de la maladie ultérieure, et ceci n’était pas le moindre élément de son absence d’autonomie et de son inaptitude à vivre.  Il était devenu très riche par l’héritage de son père et de son oncle, attachait manifestement beaucoup de valeur au fait de passer pour riche et pouvait s’offenser beaucoup quand on le sous-estimait sur ce plan. »

La fortune était donc équivalente pour lui aussi à la puissance sexuelle. Il confondait les deux. Il n’est pas le seul.

Freud complète le tableau de son rapport à l’argent : on ne saurait dire s’il était avare ou prodigue. On pouvait aussi bien le prendre pour un « parvenu endurci » mais il pouvait aussi se montrer «  modeste, secourable et compatissant ». En bref l’argent était « soustrait à son contrôle conscient ».

Donc l’argent avait marqué toute sa vie sexuelle, sa vie psychique, son caractère et aussi son mode de vie.

Ce serait intéressant à la lumière de ce que Freud avance de cet érotisme anal, de repérer un peu ce qu’il en est de ce monde de l’argent de ce qu’on appelle pompeusement le monde capitaliste, en ce moment, par exemple ce qu’il en est du fonctionnement de ceux qui jouent en bourse avec l’argent des autres, de la question de la dette. Est-ce que la psychanalyse pourrait aider à analyser la crise actuelle des états et de leurs finances. Ce serait sans doute possible mais pas facile.

Je pense que ça doit avoir un rapport avec les jeux d’argent. Il faudrait relire à la fin de Dostoïevski et le parricide, l’analyse que Freud suggère de la nouvelle de Stefan Zweig, « Vingt quatre heures de la vie d’une femme ». Cette dite femme tente de sauver un jeune homme prit par la passion du jeu et qui se ruine au casino. Sa tentative de sauvetage échoue.

Je me suis un peu éloignée de l’érotisme anal de Sergeï mais ce n’est que pour mieux y revenir.

Pour Sergeï, ce qui me parait important c’est le fait que l’argent qu’il possède et qu’il possède en quantité, tout au moins au moment où il commence son analyse avec Freud  n’est pas le fruit de son travail mais un héritage du père et qui est de plus géré par sa mère. Or au moment de la naissance de sa phobie, peu de temps avant son anniversaire, le désir de son rêve avait été de recevoir beaucoup de cadeaux, en tout cas le double de cadeaux, du fait que la date de son anniversaire coïncidait avec celle de Noël. Ainsi il me semble qu’avec cet héritage venu du père, au nom de l’équivalence cadeau et argent, son désir de recevoir un enfant/cadeau du père était réalisé. Plus tard, lorsqu’il aura perdu toute sa fortune et que les analystes lui verseront des subsides, ce désir se réalisera à nouveau, dans le contexte de l’analyse.

Il me semble que seule Ruth Mack Brunswick avait tenté de  le sortir de cet imbroglio dans lequel il était pris, enfermé, mais que dans son transfert pour Freud, elle ne s’était pas décidée à lui demander de payer ses séances, à le traiter comme il le lui demandait, comme « un vrai gentleman », donc comme un homme.

Pour en revenir au texte, page 227, à propos de cet héritage, Freud évoque deux faits, tout d’abord la façon dont il s’était en quelque sorte réjoui, au moment de la mort de sa sœur, de rester le seul héritier et en avouant ce fait, sans le moindre remords apparent, sans aucun affect :

« J’ai déjà mentionné (P.184) que je trouvai très étrange la manière dont il se consola de la perte de sa sœur, qui était devenue dans les dernières années son meilleur camarade, en se faisant la réflexion suivante : maintenant je n’ai plus besoin de partager avec elle l’héritage des parents. Plus frappant encore le calme avec lequel il raconta cela, comme s’il n’avait pas de compréhension pour la grossièreté de sentiment ainsi avoué. »

Le second exemple que donne Freud se rapporte lui aussi à l’héritage mais cette fois-ci il est lié à sa mère : «  Après la mort de son père, la fortune laissée fut partagée entre lui et sa mère. La mère l’administrait et répondait à ses demandes d’argent, comme il le reconnaissait lui-même, de façon irréprochable et généreuse. Pourtant il avait coutume de terminer tout entretien sur les questions d’argent entre eux par les reproches les plus violents, en affirmant qu’elle ne l’aimait pas, qu’elle pensait à économiser sur son compte à lui, et qu’elle préférerait probablement le voir mort pour disposer seule de l’argent. » En somme il lui reproche ce qu’il devrait se reprocher à lui-même, au sujet de la mort de sœur.

Dans les pages qui suivent Freud remettra en valeur le rapport de l’argent avec les selles et le fonctionnement de l’intestin, quelqu’un de dépensier ou même généreux peut avoir la diarrhée et il y une expression en usage qui indique qu’on peut être constipé du porte-monnaie.

Dans l’une de ses lettres adressée à Fliess, Freud lui écrivait « Tu ne peux pas savoir tout ce qui pour moi, nouveau Midas, se transforme en merde ».

Freud effectue une substitution, car tout ce que le Roi Midas touchait se transformait en or. Voici son histoire (je crois que c’est sur wikipédia) :

« Le vieux Silène, qui avait été le tuteur de Dionysos (dieu du vin), fut trouvé ivre par des paysans et amené à Midas. Celui-ci reconnut le compagnon de Dionysos, le traita avec bienveillance et l’hébergea pendant dix jours et dix nuits. Il ramena ensuite Silène au dieu, qui fut si content de le retrouver qu’il offrit à Midas de lui donner ce qu’il désirerait : le roi demanda que tout ce qu’il toucherait fût changé en or. Midas fut d’abord ravi des résultats, mais sa joie se transforma en horreur lorsqu’il se rendit compte que la nourriture et les boissons étaient aussi transformées en or. Il finit par supplier le dieu de lui retirer son don, et reçut l’ordre de se laver dans l’eau du Pactole. Depuis, le sable du fleuve resta changé en paillettes d’or. »

En tout cas, à propos de l’Homme aux loups, son héritage est étroitement lié à la mort de son père et je n’ai pas encore trouvé dans ses souvenirs la date de sa mort.

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