La Verleugnung, le démenti de la castration, dans la névrose et la perversion

tableau28_webDeux textes de Freud nous permettent de spécifier les trois définitions que nous pouvons établir de cette dite perversion.
La première, celle de la perversion en tant que structure opposée à la névrose et à la psychose est décrite dans son texte intitulé « Le fétichisme », les deux autres, version vers le père et perversion polymorphe du mâle, comme étant la façon mâle de rater mais aussi de réussir le rapport sexuel, sont explicitées l’une et l’autre dans « clivage du moi et mécanismes de défense . L’un concerne donc la perversion en tant que structure, l’autre la névrose. Il vaut donc la peine de les relire pas à pas car on peut y vérifier que le processus de clivage n’est pas du tout le même pour les deux.

La version vers le père et la perversion polymorphe du mâle dans le texte freudien

Ce texte « clivage du moi et mécanisme de défense » est le dernier texte écrit par Freud et il est resté inachevé. Lacan a pris appui sur ce texte pour décrire ce qu’il a appelé la spaltung ou la division du sujet. Ce qui rend compte de cette division, c’est la définition même du sujet qu’il en propose : Le sujet n’est que représenté par un signifiant pour un autre signifiant, signifiant sous lequel il disparaît.
Au moment où il va donc décrire ce processus même du démenti ou désaveu qui en allemand s’appelle Verleugnung, Freud se trouve en proie à une incertitude, il ne sait si ce qu’il compte décrire est déjà connu et donc ancien ou encore inconnu et donc nouveau.
Sans doute peut-on dire que tous les éléments cliniques et théoriques sont connus et anciens mais que par contre ce qui est nouveau et donc inconnu c’est le fait de les avoir regroupés ensemble dans une même structure et en les mettant sous le chef de cette Verleugnung de ce démenti.
Qu’est-ce que Freud appelle démenti ou désaveu ? Il le définit comme le fait de pouvoir à la fois affirmer la réalité d’une perception et en même temps la dénier, faire comme si elle n’avait jamais existé. Octave Mannoni, en son temps, en avait proposé la formule du « Je sais bien … mais quand même… ». L’étude de cette Verleugnung consiste donc à remplir ces pointillés et d’une façon radicalement différente dans la névrose et dans la perversion.

Le texte se compose de deux parties. Une première partie à proprement parler théorique, une seconde plus proprement clinique. De fait la première est une forme simplifiée de la seconde.

Supposons, indique Freud, que « le moi de l’enfant se trouve au service d’une puissante revendication pulsionnelle qu’il est accoutumé à satisfaire » et qu’il rencontre soudain un danger réel. « Il doit se décider : ou bien reconnaître le danger réel, s’y plier et renoncer à la satisfaction pulsionnelle ou bien dénier la réalité, se faire croire qu’il n’y a pas de motif de craindre, ceci afin de pouvoir maintenir la satisfaction ».
Il décrit ce fait comme un conflit qui n’est pas entre le moi et le désir inconscient, mais entre cette revendication pulsionnelle et la réalité qui y fait obstacle.
Au lieu de choisir entre ces deux solutions, l’enfant maintient les deux, même si elles sont strictement contradictoires.
D’une part il déboute la réalité et ne se laisse rien interdire mais d’autre part il reconnaît le danger qu’il encourt et développe un symptôme qui témoigne de la prise en compte de ce danger.

Dans l’approche clinique que Freud développe dans cette seconde partie, ces deux branches du démenti vont être davantage explicitées ainsi d’ailleurs que l’événement traumatisant source de ce démenti qui n’est rien d’autre que la rude découverte de la différence des sexes, cette découverte réveillant l’angoisse de castration.

Il s’agit d’un enfant de trois quatre ans qui avait découvert les organes génitaux de sa grande sœur et qui, quelques temps après, menacé de castration par sa gouvernante en raison de son activité masturbatoire, fût alors dans l’obligation de prendre en compte le danger qui le menaçait lui-même et son organe.
Ce fut pour lui « un effroi terrible ».
L’enfant n’avait pas renoncé pour autant à son activité masturbatoire et à la satisfaction pulsionnelle qu’elle comportait, bien au contraire, niant cette découverte, « il s’est crée un substitut du pénis de la femme, en vain cherché : un fétiche ».
Mais quand même il faut apporter à cette affirmation une rectification. Car Freud le précise : « Le petit garçon n’a pas simplement contredit sa perception et halluciné un pénis là où on ne pouvait en voir – nous ne sommes donc pas dans le registre de la psychose – il a uniquement procédé à un déplacement de valeur, transféré la signification du pénis à une autre partie du corps, processus pour lequel – d’une façon que nous ne pouvons indiquer ainsi – le mécanisme de la régression lui est venue en aide ».
Qu’est-ce que Freud nous indique ici de ce processus de régression qui permet à l’enfant de déplacer la valeur de ce pénis de la mère à une autre partie de son corps par régression ?
On peut deviner que c’est bien de cela qu’il s’agit dans ce que Freud appelle la perversion polymorphe infantile. C’est en fonction des pulsions partielles qu’une autre partie du corps de la femme sera investie d’une valeur phallique. Pour l’un, ce sera les seins, pour l’autre, la croupe d’une femme, telle celle de Grouscha, pour l’Homme aux loups, ses yeux, au alors la jolie démarche d’une jeune fille, telle celle de la Gradiva.
Ce déplacement de valeur du phallus à une autre partie du corps de la femme est bien celle que Lacan appelle la perversion polymorphe du mâle, celle qui fait qu’il s’intéresse à une femme en tant que porteuse, détentrice de l’objet a.

La seconde branche du démenti, celle du « Je sais bien » implique par contre que la réalité de la castration soit prise en compte.
Elle se manifeste selon trois composantes :
– Il a besoin d’effectuer une surcompensation virile, Freud l’appelle « protestation virile ».
– Il développe un symptôme, la peur d’être dévoré par le père. Et c’est dans ce symptôme-là qu’on peut reconnaître ce que Lacan nomme « version vers le père » ou père-version. En effet ce qui se manifeste dans ce symptôme, par régression, c’est en effet toutes les composantes du masochisme dit féminin des hommes, le désir d’être castré, violé et battu, mais surtout le désir d’être aimé du père comme une femme et d’en recevoir un phallus, sous la forme d’un enfant. C’est en somme un détour paradoxal par une identification féminine pour accéder quand même à la virilité.
– Entre la reconnaissance de la castration et son déni, il développe encore un autre petit symptôme, la crainte anxieuse que l’on touche à ses deux petits orteils, autrement dit qu’on les lui coupe.

Donc pour résumer nous pouvons dire qu’à la branche du « Je sais bien… », celle où est reconnue la réalité de la perception, correspond la version vers le père, la père-version, celle où c’est le père qui est préféré à la mère comme étant celui qui a le phallus. Mais cette préférence doit elle aussi être abandonnée. Là encore l’angoisse de castration joue son rôle.
On peut les schématiser ainsi

A la branche du «… mais quand même… » correspond donc la perversion polymorphe du mâle soit ce que Lacan appelle la façon de rater le rapport sexuel du côté homme.

La « vraie perversion » en tant que structure

Le terme de Verleugnung, de démenti, est également valable pour spécifier ce qui rend compte de la perversion en tant que structure, opposée à celle de la névrose et de la psychose, mais ce démenti ne porte pas sur les mêmes termes et la fonction du fétiche est également autre.

Ce qui permet de décrire les mécanismes en jeu c’est une étude attentive de ce texte de Freud intitulé « Le fétichisme ».
Il part de cette donnée : « Le fétiche est un substitut du phallus de la femme (la mère) auquel a cru le petit enfant et auquel nous savons pourquoi il ne veut pas renoncer ».

Dans la perversion il y a refus de la perception du fait que la femme ne possède pas de pénis. Mais pour Freud, la perception et l’affect subissent deux destins.
La perception est déniée. L’affect lui est refoulé. Cet affect est l’angoisse de castration. Ceci pose quand même problème, car il avait bien indiqué dans d’autres textes, que seule la représentation était refoulée, tandis que l’affect détaché de cette représentation allait se fixer ailleurs, sur une représentation substitutive. Il est vrai que c’était à propos de la névrose qu’il soutenait ce mécanisme et on peut peut-être supposer qu’il ne serait pas le même dans la perversion.
Quoiqu’il en soit, on retrouve, comme dans la névrose, les deux branches du démenti :
1 – Il a conservé cette croyance :
Dans l’inconscient, la femme possède bien un pénis, mais il n’est plus le même. Quelque chose d’autre a pris sa place comme substitut et est devenu l’héritier de l’intérêt qui lui était porté auparavant.

2 – mais il l’a aussi abandonné.
Cet intérêt est extraordinairement accru parce que l’horreur de la castration s’est érigé un monument en créant ce substitut.

Le fétiche sert les deux branches de ce déni, celles du je sais bien mais quand même : « il demeure le signe d’un triomphe sur la menace de castration et une protection contre cette menace ».

« Il y a aussi clivage du fétichiste quant à la castration de la femme.
Dans des cas très subtils, c’est dans la construction même du fétiche qu’aussi bien le déni que l’affirmation de la castration ont trouvé accès. C’était le cas pour un homme dont le fétiche était une gaine pubienne qu’il pouvait aussi porter comme un slip de bain. Cette pièce vestimentaire cachait totalement les organes génitaux, donc la différence entre les organes génitaux. Selon les documents de l’analyse cela signifiait aussi bien que la femme était châtrée qu’elle n’était pas châtrée et cela permettait par surcroît de supposer la castration de l’homme, car toutes ces possibilités, pouvaient parfaitement se dissimuler derrière la gaine dont l’ébauche était une feuille de vigne vue dans l’enfance. »

Je trouve qu’il vaut en effet la peine de serrer de près cette question de la radicale différence de structure qu’il y  a entre la névrose et la perversion, au moment où certains analystes font état de ce qu’ils appellent la « perversion généralisée » voire du radical changement de structure du sujet.

 

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