« Sous la pantoufle de sa femme »… et de ses psychanalystes

Très surprenant : alors que dans les trois premiers chapitres j’ai trouvé l’approche analytique de Ruth très pertinente, soudain dans ce nouveau chapitre « Le cours de l’analyse actuelle » elle est très antipathique. Je la trouve culottée et trop sûre d’elle et même animée de mauvaises intentions à l’égard de son analysant. En bref le contre-transfert semble plutôt négatif.Elle le traite de malhonnête et d’hypocrite, rien que ça. Il y a de la haine mais il le lui rend bien : « Mais même au début de l’analyse sa faculté de se murer en lui-même se fit voir. En tout temps inaccessible, à un degré rare, à toute suggestion sans doute en raison de son narcissisme, il commença pas se retrancher derrière son imperméabilité c’est ainsi qu’un trait ordinaire  de grande valeur quant à l’exactitude d’une analyse en devient la résistance principale »

Je ne comprends pas bien le sens de cette phrase, peut-être veut-elle dire que,  selon la formule « ce qui ne peut pas être symbolisé est mis en acte dans le transfert », cette imperméabilité qui était la vérité de sa conduite, la traduction de sa névrose ne pouvait pas céder et constituait donc un obstacle dès lors infranchissable. En bref, il n’est pas décidé à s’en laisser « compter ».

On peut dire aussi que ce sont ses préjugés d’analyste qui l’empêche d’avancer,  surtout qu’elle connaissait déjà ce célèbre cas de Freud, comme elle le dit elle-même, et que de plus elle avait du être très flattée que Freud lui confie en somme cette analyse de seconde main. Les rapports devaient être plus que mal engagés entre deux anciens analysants de Freud, dont l’une était devenue psychanalyste et l’autre resté « simple » analysant. On en trouve trace : «  il discourait longuement des merveilles de l’analyse en tant que science, de la précision de ma technique, qu’il se disait apte à juger d’emblée, de son sentiment de sécurité de se savoir entre mes mains, de ma bonté qui me faisait le traiter gratuitement et d’autres sujets analogues ». Il lui tape sur le système !

 Pourtant tous les deux ne se débrouillent pas si mal en repartant de plusieurs nouvelles versions de son rêve des loups, ils repèrent en effet que ces loups  ont entre temps changé de couleur. Ils sont devenus gris, gris comme le chien de Freud. De cela ils en déduisent, pour Sergeï, qu’il est quand même bien content de faire une analyse avec une femme et pour Ruth, que cela lui permet en effet d’échapper au transfert homosexuel ce qui pour elle constituerait « un danger pour la cure plutôt qu’un de ses instruments ».

En somme, dans son idée, ce transfert serait lui aussi infranchissable, littéralement inguérissable, comme si son identification à sa mère dans le coït était une marque indélébile.

Pourtant il y aurait bien eu une solution et qui comme toujours est apportée par l’analysant :  «  A la suite de ses commentaires répétés sur ma bonté de le traiter gratuitement,  notre patient apporte ce rêve qui trahit sa possession des bijoux : il est debout, à la proue d’un navire, portant un sac qui contient des bijoux, les boucles d’oreille et le miroir d’argent de sa femme. Il s’appuie au bastingage, casse le miroir et comprend que pour lui le résultat en sera sept ans de malheur.

En Russie, la proue d’un navire s’appelle son nez et voila l’endroit où commence les malheurs du patient. Le miroir qui joue un si grand rôle dans sa symptomatologie, est également présent… ».  Il signe son identification féminine, c’est à sa femme qu’il l’a emprunté sauf que dans son rêve il l’a quand même brisé.

Comment Ruth interprète-t-elle ce rêve ? Ce rêve est un aveu, un aveu du fait que depuis sept ans il avait caché à Freud la possession de ces bijoux et donc d’un certain degré de fortune et  de puissance virile. Il l’avait caché pour pouvoir la recevoir de Freud.

 

Ruth met l’accent sur le fait que son analysant refusait de reconnaître que cela avait constitué une « malhonnêteté ». Elle souligne cependant que c’était sous la mauvaise influence de sa femme qu’il avait caché ce fait et elle rajoute « mon patient était entièrement sous la pantoufle de sa femme ; elle lui achetait ses vêtements, elle critiquait ses médecins (et sans doute ses analystes) elle s’occupait des finances du ménage. La passivité autrefois entièrement orientée vers le père et même alors camouflée en activité avait rompu toute entrave et embrassait actuellement et les relations homosexuelles et les hétérosexuelles ».

Son approche est certes juste mais ma seule chose qu’elle ne voit pas c’est à quel point l’Homme aux loups vit également et maintenant depuis sept ans, sous la pantoufle non seulement de sa femme mais aussi de ses psychanalystes : il est devenu maintenant pour eux un objet d’étude, un bel objet phallique.

Pourtant affleurant dans le texte surgit la question du payement de ses séances et donc de l’acquittement éventuel de sa dette. Cependant même si ça ne lui vient pas à l’idée à lui, ce dont elle se plaint, pourquoi ne l’aurait-elle pas exigé de lui ?

 Cela me fait penser à ce que Lacan disait des femmes des temps antiques, au temps, par exemple, d’Aristophane, que ces femmes étaient actives et non pas passives et qu’elles savaient réclamer aux hommes leur dû à la mesure même de leur manque. C’est ce qu’aurait du faire Ruth Mack Brunswick, sans doute n’avait-elle pas osé passer outre au désir de Freud de subvenir paternellement aux besoins de l’Homme aux loups. Peut-être techniquement, est-il nécessaire que les femmes analystes soient actives et exigeantes, de nouvelles Lysistrata.

En tout cas je crois que c’est là que Ruth a définitivement loupé le coche, en étant trop sous l’emprise elle-même de son analyste, Freud. Elle aurait dû lui faire payer ses séances d’analyse, au lieu d’ergoter sur sa « malhonnêteté ».  Il aurait ainsi pu se comporter, comme il le suggérait lui-même, en vrai « gentleman ».

Liliane Fainsilber

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