Le graphe bleu de l’acteur jouant le rôle d’Hamlet et celui du psychanalyste écoutant l’analysant

Dans le désir et son interprétation, Lacan analyse très longuement le drame d’Hamlet en tant que tragédie du désir. Il établit une radicale différence entre la lecture d’Hamlet et sa représentation, représentation dans laquelle l’acteur prête au héros, ses propres signifiants inconscients.

« Il est clair que ce n’est pas du tout la même chose de lire Hamlet et de le voir représenté […] cette dimension qu’ajoute la représentation, à savoir les acteurs qui vont jouer cet Hamlet, c’est strictement analogue de ce par quoi nous sommes intéressés dans notre propre inconscient. Et si je vous dis que ce qui constitue notre rapport à l’inconscient, c’est ceci par quoi notre rapport à l’imaginaire, je vaux dire notre rapport à notre propre corps […] le signifiant, pour dire le mot, c’est nous qui en fournissons le matériel (c’est cela même que j’enseigne et que je passe mon temps à vous dire), c’est avec nos propres membres – l’imaginaire c’est cela – que nous faisons l’alphabet de ce discours qui est inconscient et, bien entendu, chacun dans nos rapports divers, car nous ne nous servons pas des mêmes éléments pour être pris dans l’inconscient.

 

Et c’est l’analogue, l’acteur prête ses membres, sa présence, non pas simplement comme une marionnette, mais avec son inconscient bel et bien réel, à savoir le rapport de ses membres avec une certaine histoire qui est la sienne. Chacun sait que s’il y a de bons et de mauvais acteurs, c’est dans la mesure, je crois où l’inconscient d’un acteur est plus ou moins compatible avec ce prêt de sa marionnette. »

On peut représenter le graphe du désir d’Hamlet et le doublant en quelque sorte, le graphe du désir de l’acteur. Sur le premier s’inscrit le texte même de cette tragédie, en tant que discours de l’Autre, sur le second celui de l’acteur, on peut inscrire sa chaîne signifiante inconsciente. Au niveau du message, s’inscrit l’interprétation de l’acteur quant à cette tragédie.

De même, ne peut-on pas  dire que « c’est dans la mesure où son inconscient  est plus ou moins compatible avec sa marionnette » que le  psychanalyste peut l’être et apporter ainsi interprétation à « la chanson de geste » de la névrose de l’analysant.  Peut-être devrait-on rajouter que le psychanalyste doit quand même, au gré de l’analyse, changer de marionnettes, jouer différents rôles dans le transfert.

Tout comme l’acteur interprète le rôle d’Hamlet, de même l’analyste interprète au niveau du message de son propre graphe du désir le discours inconscient de l’analysant, c’est assez dire à quel point l’interprétation ne peut être qu’une rencontre entre deux savoirs inconscients. Or la rencontre entre ces deux savoirs est justement ce qui définit l’amour, la vraie amour.

Liliane Fainsilber

 

 

Le désir et son interprétation,  séance du 18 mars 1959.

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