Quand Freud occupe la place non pas du père mais du personnage dit de la femme riche

Lacan a donc posé – dans son texte « le mythe individuel du névrosé » -que le complexe d’Œdipe ne se réduit pas à trois personnages mais à quatre. Ils entrent tour à tour dans un quatuor

On peut repérer, parmi tous les personnages qui vont y participer, l’ami du père mais aussi bien l’ami du fils, ce confident qui le rassure quant à ses désirs criminels. Existe aussi l’opposition jeune fille, jeune fille pauvre.

Mais dans cette opposition, il est à noter que la mère d’Ernst est quand même l’ancienne jeune fille riche et que d’autre part, répétant la situation elle envisage, à son tour, de faire épouser à Ernst une autre jeune fille riche qui entre donc en opposition avec sa cousine, Gisela Lanzer, qui, elle, est la jeune fille pauvre.

Donc sous la rubrique « jeune fille riche », on trouve, comme dans le jeu des sept familles, la mère d’abord puis la jeune fille qu’elle compte lui voir épouser, la propre fille de Freud mais aussi, dans son scénario obsessionnel, la dame de la poste. Sous la rubrique « Jeune fille pauvre » on peut partir de la jeune fille abandonnée par son père, puis la cousine d’Ernst, Gisela et enfin la servante d’auberge, à qui il voulait absolument rendre l’argent et donc s’acquitter de la dette du père. Tous ces personnages vont venir permuter dans l’analyse elle-même, telle que Lacan la décrit. Au début, Freud occupe la place de l’ami, celui auprès de qui il va se confier et se rassurer quant à ses tendances criminelles mais ensuite une sorte de transmutation s’effectue et selon Lacan Freud n’occupe pas seulement la place du père mais la place de la jeune fille riche, donc, disons le mot, la place de cette jeune fille riche que fut sa mère. Mais il y a une sorte de dédoublement de cette jeune fille, celle que la mère destine à Ernst, et qui entre donc en opposition avec sa dame, sa cousine, Gisela Lanzer. Comme cela n’est pas facile à saisir je cite Lacan : « Que se passe-t-il quand l’Homme aux rats va se confier à Freud, à l’ami qu’est Freud ? Car Freud se substitue très directement, dans les relations affectives du sujet, à un ami qui remplissait ce rôle de guide, de conseil, de protecteur, de tuteur rassurant. Le sujet avait déjà dans sa vie quelqu’un qui remplissait cette fonction amicale, à qui il allait confier ses obsessions, ses angoisses, et qui lui disait : « Tu n’as jamais fait le mal que tu crois avoir fait, tu n’es pas coupable, ne fais pas attention »… Mais il va trouver Freud et le met à la place de cet ami. Et alors très vite se déclenchent des fantasmes agressifs, qui ne sont pas du tout liés, bien loin de là, uniquement à la substitution de Freud – comme l’interprétation de Freud lui-même tend sans cesse à le manifester -, substitution au père, mais tiennent plutôt au fait que, comme dans le fantasme, il se produit une substitution du personnage dit de la femme riche à l’ami.

Très vite en effet le sujet, dans cette espèce de court délire qui constitue, au moins chez les sujets très profondément névrosés, une véritable phase passionnelle à l’intérieur même de l’expérience analytique, se met à imaginer que Freud ne désire rien de moins que lui donner sa propre fille, dont il fait fantasmatiquement un personnage chargé de tous les (328)biens de la terre dont il rêve. Et il se la représente sous la forme assez singulière et très caractéristique d’un personnage pourvu de lunettes de crotte sur les yeux[1].

C’est donc la substitution au personnage de Freud d’un personnage qui est à la fois protecteur et maléfique, ambigu, dans un rapport d’ailleurs narcissique avec le sujet, marqué par les lunettes. C’est quelque chose de tout à fait frappant. Donc, le mythe et le fantasme se rejoignent. L’expérience passionnelle, qui est liée au vécu réel et actuel, à la relation avec l’analyste, marque le passage, le tremplin à la résolution d’un certain nombre de problèmes, par l’intermédiaire de ces identifications. »

Concernant la résolution d’un certain nombre de problèmes, peut-on considérer que le fait d’avoir pu épouser sa dame après son analyse était une solution souhaitable pour lui ? On peut en effet penser que par cet acte, il avait enfin payé la dette du père envers cette jeune fille pauvre et que donc il avait continué à soutenir son désir, le désir du père et non pas forcément le sien. Enfin, c’est une question.

Le fait que Freud occupe la place de la femme riche est utile à souligner, car les transferts ne suivent pas, ne prennent pas forcément appui sur le sexe de l’analyste. Un transfert de type maternel peut être soutenu par un analyste homme. Si Freud avait pu s’identifier un peu plus à Madame K. peut-être aurait-il pu avancer un peu plus dans l’analyse de Dora. De même en réoccupant la place de sa mère dans l’analyse de l’homme aux rats, peut-être aurait-il pu mieux tirer parti de ce que Ernst lui avait raconté de son fantasme au hareng, celui où il voyait la mère et la fille de Freud attachées l’une à l’autre au moyen d’un hareng qui pendait de l’anus de l’une pour entrer dans l’anus de l’autre. Dans les phrases qui suivent Lacan passe par déduction de ce cas particulier à une généralisation : la mise en jeu de ce quatuor dans toute analyse de névrosé. Chemin faisant, il ne mentionne pas pour autant le quatuor de Dora son quadrille entre elle et Monsieur K. son père et Madame K.

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