Secrètes fragrances

De beaux mots de la langue française tombent sans cesse en désuétude. Dans les dictionnaires.   Ces mots, qui brillent de leurs derniers feux avant de disparaître,  portent souvent l’adjectif de « vieilli » ou,  au mieux,  de « littéraire ». Le mot « fragrances » fait partie de tous ces mots en voie de disparition. Avec ce titre « Secrètes fragrances » j’espère le tenir encore sur le fil de sa  vie,  au titre de parfums, de parfums suaves.

Juliette, une chanteuse qui compose le plus souvent à la fois les textes et les musiques de ses chansons, a célébré dans l’une d’elles,  des  parfums,  traces de la présence d’une femme aimée ou peut-être de l’homme aimé, on ne sait. Mais ce serait plutôt des parfums de femme qui sont ainsi évoqués.

«Je veux garder pour en mourir

Ce que vous avez oublié

Sur les décombres de nos désirs

Votre parfum sur l’oreiller

Laissez-moi deviner ces subtiles odeurs

Et promener mon nez

Parfait inquisiteur

Il y a des fleurs en vous

Que je ne connais pas

Et que gardent jaloux

Les replis de mes draps »

Suivent dans ce poème de subtiles évocations poétiques de parfums de fleurs ainsi que des références littéraires

«  Sans doute il y eut des rois

Pour vous fêter enfant

En vous disant « Reçois

Et la myrrhe et l’encens »

Les fées de la légende

Penchées sur le berceau

Ont fleuri de lavande

Vos yeux et votre peau

J’ai deviné tous vos effets

Ici l’empreinte du jasmin

Par là la trace de l’œillet

Et là le soupçon du benjoin »

Certes elle convoque aussi d’autres parfums de l’enfance,  « l’odeur du roudoudou », « la grand-mère aux confitures », « l’orange de Noël », « les filles à la vanille et les garçons au citron », cependant soudain d’autres odeurs sont évoquées, celles-là plus secrètes, les odeurs corporelles :

« Voici qu’au milieu des bouquets

De douces fleurs et de bonbons

S’offre à mon nez inquiet

Une troublante exhalaison

C’est l’odeur animale

De l’humaine condition

Et voici qu’ils affleurent

L’effluve du trépas

L’odeur d’un corps qui meurt

Entre ses derniers draps… »

Cette chanson  se termine par une invitation à profiter de la vie tant qu’il en est encore temps : « Avant que le temps souverain et sa cruelle taquinerie n’emportent votre amour ou le mien vers d’autres cieux ou d’autres lits, je veux garder pour en mourir, ce que vous avez oublié, sur les décombres de nos désirs, toute votre âme sur l’oreiller ».

On peut mourir d’amour et Juliette, célébrant les secrètes fragrances de son objet d’amour, nous en apporte la preuve. Mais il est un autre mot, dans le registre de ces odeurs qui est, lui aussi, un peu tombé en désuétude, et qui, au contraire des fragrances, est de l’ordre des mauvaises odeurs, c’est celui de « pestilence ». Jadis, au cours des épidémies de peste, les populations pour s’en protéger se mettaient des nez postiches. De la peste, cette pestilence  n’a gardé que ce registre nasal, celle des odeurs putrides.

C’est un mot que Lacan avait utilisé à propos de l’analyste. Il avait en effet trouvé cette très jolie métaphore selon laquelle « l’analyste est un feu follet » pour l’opposer au Fiat Lux, « Et la lumière fut » de la création du monde. « Un feu follet, affirme-t-il n’éclaire rien, il sort même ordinairement de quelque pestilence ».

Ce Feu follet  est un effet  de la décomposition des matières organiques. Selon la tradition il effrayait les passants qui osaient de nuit traverser les cimetières car ils y voyaient une   manifestation d’outre-tombe, celle de l’âme des morts.

Est-ce de ces pulsions partielles qui ont jalonnées son enfance, de ces pestilences pulsionnelles, que l’analyste trouve le chemin de son désir, tout d’abord, puis celui du désir du psychanalyste, un désir « averti »  concernant «  l’humaine condition » ?

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