Freud et Lacan lisent Hamlet

laurence6-44391 Dans le séminaire « Le désir et son interprétation », Lacan commence par évoquer des rêves de mort du père puis il reprend ensuite très longuement le grand rêve du patient d’Ella Sharpe, le rêve dit du chaperon. Ce n’est qu’en troisième partie de ce séminaire qui entreprendra une lecture ligne à ligne de la tragédie d’Hamlet. Certes on peut justifier cet enchaînement du séminaire par son point de départ qui est celui du désir de la mort du père, désir qui est commun aussi bien au patient d’Ella Sharpe qu’à cet être de fiction, ce personnage d’Hamlet, mais cela ne saurait suffire par rapport au titre de ce séminaire qui pose la question du désir et de son interprétation et donc l’accès ou non à l’objet féminin. Or comme le plus souvent c’est par un retour au texte de Freud, que nous pouvons donner un bel éclairage du fil conducteur qui anime ce séminaire de Lacan. Il nous permet de l’interpréter.

 Dès l’interprétation des rêves, Freud se réfère en même temps qu’à la tragédie d’Oedipe et à celle d’Hamlet et les compare l’une à l’autre : « Une autre de nos grandes œuvres tragiques, Hamlet de Shakespeare, a les mêmes racines qu’Oedipe-Roi. Mais la mise en œuvre toute autre d’une matière identique montre quelle différence il y a dans la vie instinctuelle de ces deux époques et quel progrès le refoulement a fait dans la vie affective de l’humanité. Dans Oedipe, les fantasmes-désirs sous-jacents de l’enfant sont mis à jour et réalisés comme dans le rêve ; dans Hamlet, ils restent refoulés, et nous n’apprenons leur existence – tout comme dans les névroses – que par l’effet d’inhibition qu’ils déclenchent. Fait singulier, tandis que le drame a toujours exercé une action considérable, on n’a jamais pu voir clair quant au caractère de son héros. La pièce est fondée sur les hésitations d’Hamlet a accomplir la vengeance dont il est chargé. »1

On ne peut de fait l’interpréter que dans une référence au drame oedipien : « Qu’est-ce qui l’empêche d’accomplir la tâche que lui a donnée le fantôme de son père ? Il faut bien convenir que c’est la nature de cette tâche. Hamlet peut agir, mais il ne saurait se venger d’un homme qui a écarté son père et pris la place de celui-ci auprès de sa mère, d’un homme qui accompli les désirs refoulés de son enfance. »

 Mais surtout Freud qualifie Hamlet d’hystérique et il met en lien cette hystérie avec une « aversion de la sexualité ». Il me semble que c’est par ce biais là, plus encore que par ses désirs de la mort du père qui ne sont que la conséquence du lien premier à la mère, qu’on peut saisir la place que Lacan a donné à cette tragédie d’Hamlet dans son approche de ce qu’est le désir et son interprétation. Dans cette approche, il faut redonner toute son importance à ce personnage si émouvant d’Ophélie et au fait qu’au départ ; objet de l’amour d’Hamlet, elle devenu ensuite pour lui un objet d’aversion, tout comme l’est sa mère, ne retrouvant son statut d’objet aimé, qu’une fois morte, au cours de la scène au cimetière, et ce dans une confrontation à un objet rival, Laerte, qui pleure la perte de sa sœur.

Selon Lacan, « Ophélie est très évidemment une des créations les plus fascinantes qui ait été proposée à l’imagination humaine. Quelque chose que nous pouvons appeler le drame de l’objet féminin, le drame du désir du monde qui apparaît à l’orée d’une civilisation sous la forme d’Hélène, c’est remarquable de le voir dans un point, qui est peut-être un point sommet, incarné dans le drame et le malheur d’Ophélie. Vous savez qu’il a été repris sous maintes formes par la création esthétique, artistique, soit par les poètes, soit par les peintres, tout au moins à l’époque préraphaélite jusqu’à nous donner ces tableaux fignolés où les termes mêmes de la description que donne Shakespeare de cette Ophélie flottant dans sa robe au fil de l’eau où elle s’est laissée glisser dans sa folie glisser – car le suicide d’Ophélie est ambigu. »2

 Ophélie est là, nous dit Lacan, pour interroger le secret du désir 3, le secret du désir d’Hamlet.

1S.Freud, L’interprétation des rêves, p. 230, 231.

2J. L, Le désir et son interprétation, 4 mars 1959.

 

3Op.cit. Séance du 8 avril 1959).

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