Le faux pas de Dora… et celui de Freud

D’entrée de jeu, avant de nous livrer le texte de ce second rêve de Dora (p.69), Freud pose les trois acquis qui ont permis son déchiffrage :
1 – Des données sur  » l’état d’âme de la patiente « .
Je suppose qu’il s’agit avant tout des désirs de vengeance à l’égard non seulement de son père mais également à l’égard de Monsieur et Madame K. Nous apprendrons pourquoi. ( Joëlle a plutôt fait l’hypothèse que Freud fait ainsi allusion à l’état amoureux de Dora envers Monsieur K.) c’est également tout à fait possible.
Faisant partie de cet état d’âme de la patiente, peut-être faut-il retenir également ce que Freud découvrira, dans les marges, et sans doute dans un effet d’après-coup de cette analyse,  » le puissant amour gynécophile de Dora pour Madame K. Mais Freud ne l’a pas encore découvert au cours de l’analyse. il ne le découvre que dans l’après-coup, en se posant des questions sur les raisons de son départ précipité.
2 – Disparition de l’amnésie concernant justement les événements autour de la scène au bord du lac.
3 – Découverte de l’origine d’un autre de ses symptômes : depuis une pseudo- crise d’appendicite, Dora traînait la jambe.
Le texte de ce second rêve est plus long et plus compliqué que le premier. Il semble que par rapport à ce contenu manifeste, Freud se sente un peu démuni. C’est tout au moins l’impression qu’il donne, pourtant il met en exercice sa méthode de déchiffrage maintenant bien rodée.
Tenir compte du contexte dans lequel a eu lieu ce rêve :
Il s’est produit quelques semaines après le premier et à un moment de son analyse où elle posait beaucoup de questions sur les liens qu’il y avait entre  » ses actes et leurs motifs présumés « . Donc elle découvre l’existence des motivations inconscientes de ses actes.
Freud en donne trois exemples :
Pourquoi avait-elle gardé sans rien en dire cette dispute entre elle et Monsieur K. ?
Pourquoi ensuite en avait-elle parlé à sa mère pour qu’elle en informe son père ?
Pourquoi enfin – et là, cette question, c’est Freud qui la rajoute, avait-elle refusé la déclaration d’amour de Monsieur K. alors qu’elle était, en tout cas, aux yeux de Freud, sincère.
Nous aurons la réponse à cette question avec l’évocation d’une autre lettre, celle que la jeune gouvernante des K. avait envoyée à ses parents. Elle avait eu des relations sexuelles avec Monsieur K. et avait eu grand peur d’être enceinte à la suite de ce rapport. A la suite de cela Monsieur K. lui avait battu froid. Dora le savait. La jeune fille s’était confiée à elle.
Or cette aventure ancillaire avec la gouvernante avait eu lieu à peine deux ou trois jours avant la scène au bord du lac. (p. 79). Il aggrave, si on peut dire son cas, en donnant à Dora, les mêmes arguments qu’il avait donnés à la gouvernante, à savoir  » vous savez bien que ma femme n’est rien pour moi « .
Donc tout cela est le contexte dans lequel est survenu ce rêve.
Avant d’entrer dans le texte même, soulignons ce qu’en dit Freud, qu’il lui a permis de découvrir l’un des autres symptômes de Dora resté jusqu’à ce jour énigmatique : neuf mois après la scène au bord du lac, alors qu’elle séjournait chez sa tante, Dora fait une crise douloureuse abdominale puis, elle eut ses règles. Elle avait ainsi mis en scène un accouchement. Quel a été le fruit de cet enfantement : un nouveau symptôme, depuis Dora traînait un peu la jambe, plus précisément son pied droit, comme suite de son faux-pas.
Quel pourrait être le symbolisme de ce « traîner le pied droit » ?
Cela fait penser à ce jeu de mots grivois mais involontaire de l’une des analysantes de Freud : A un homme, pour plaire, il lui suffit d’avoir ces cinq membres droits.
Et après tout on dit bien prendre son pied.
Mais cette association d’idée concernant le pied qui traîne de Dora n’engage que moi.
En tout cas le fantasme d’accouchement est indéniable et lui reste comme souvenir de cette crise : son pied droit qui quelquefois ne lui obéit pas. Comment s’en étonner !
Mais ce que Freud décrit comme les aspirations à la maternité de Dora se retrouvent entremêlées tout au long des associations de ce rêve.
Y compris à propos de sa contemplation de La Madone Sixtine au musée de Dresde.
Ceci n’est qu’une approche de ce second rêve. Il nous reste à en apprécier le mot à mot.
Dans le contexte de ce rêve, c’est également intéressant de se poser une question de technique analytique :
Qu’aurait dû ou pu faire Freud pour éviter que Dora s’en aille ?
Où a-t-il fait une erreur ?
Il y a quelques années je pensais que Dora était partie parce que Freud n’avait pas mesuré l’importance qu’avait eu pour Dora, l’aventure de Monsieur K. avec la gouvernante. Mais à relire le texte, on ne peut pas dire qu’il ne la prenne pas en compte. Simplement, il ne doit pas trouver que c’est un argument suffisant pour refuser les avances de Monsieur K.
Peut-être n’a-t-il pas assez prêté attention à ce qui le concernait dans le rêve. Elle comptait bien se venger de lui aussi. Peut-être s’est-il cru un peu trop à l’abri de ses désirs de vengeance.
Il le dit d’ailleurs : page 89.
Dès le premier rêve, elle l’avertissait qu’elle allait le quitter, qu’elle était en danger dans cette maison.
Donc on retrouve, je retrouve cette question que je me posais à propos du premier rêve, pourquoi, Freud n’a-t-il pas pu occuper dans le transfert la place ancienne qu’occupait son père, dans son enfance, celui qui la réveillait pour ne pas qu’elle mouille son lit.
Peut-être qu’en travaillant cette question de l’énurésie dans son lien à la masturbation au lieu de passer vite dessus, de faire comme si elle était évidente, il aurait pu occuper cette place du père.
Je continue à trouver que l’interprétation du premier rêve de Dora s’est arrêtée trop tôt.
Le lien de la masturbation et de l’incontinence a été élidé par Freud. Disons le mot il n’a pas été analysé.
Ce que Freud aurait découvert, c’est que les fantasmes qui accompagnent la masturbation, étaient mis en œuvre, non par rapport à son père, mais par rapport à sa mère, et à celle qui était son substitut actuel, Madame K.
C’est ce que reprend le second rêve : je pénètre dans une ville étrangère que je ne connais pas… Mais si elle la connaît. Jadis, elle y a séjourné. ( voir le texte de Freud : L’inquiétante étrangeté)
Elle reprend, je vois devant moi une forêt profonde dans laquelle je pénètre…
Il me semble que c’est un typique fantasme de retour au ventre maternel, ce lieu d’inquiétante étrangeté que décrit si bien Freud. Un lieu qui vous est à la fois familier et étranger. « Unheimlich » est le terme allemand qu’il emploie. J’espère que je l’écris correctement.
Avec l’Homme aux loups nous retrouverons finement décrit toutes les interprétations de fantasme de retour au ventre maternel que propose Freud. Ces références au fantasme de l’homme aux loups peuvent être utiles dans l’interprétation de ce rêve de Dora, surtout par rapport à la lecture que pourra en faire Lacan.

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