Le rêve du comte de Thun ou la parole décisive de Jacob Freud

Encore un petit bout de lecture sur la suite de l’interprétation du rêve du Comte de Thun.
Dans la première analyse que Freud a fait de ce rêve, dans le chapitre “ Matériau et sources du rêve” (p. 248) Freud se montre d’humeur belliqueuse. La veille, à la gare, partant en vacances, il rencontre le Comte de Thun. Toute une série d’associations surgissent à propos de ceux qui sont nés avec une cuillère d’argent dans la bouche. Il chantonne même un air des noces de Figaro : « s’il veut la danse, Monsieur le Comte, ce sera moi… », C’est ainsi que Freud se met à la place de Figaro qui espère se venger du Comte Almaviva qui convoite sa fiancée Suzanne. C’est un rêve de lutte des classes. Dans le fil de ce rêve, Freud nous raconte deux souvenirs d’enfance. Un souvenir de son énurésie infantile, un autre souvenir où, alors déjà âgé de huit ans, il avait uriné dans la chambre de ses parents et en leur présence. Une parole du père est rapportée à ce propos “ On ne fera jamais rien de ce garçon”. Freud nous l’indique, ce rêve du Comte de Thun est un typique rêve d’ambition urétrale ainsi qu’un rêve de vengeance à l’égard du père : dans le texte du rêve, « il voit, de façon plastique, son père, infirme, qui urine devant lui.

Lorsque Freud reprend une partie de ce rêve, dans le chapitre qu’il consacre à l’absurdité dans les rêves (p. 472), c’est seulement là, qu’il donne l’interprétation de ce rêve avec l’aide d’une série de signifiants dont il repère l’équivoque à la fois dans le contenu manifeste et son contenu latent.

Tout part, c’est ce que Freud appelle le déclencheur du rêve, sa ‘trace diurne’ une petite devinette qui lui avait été posée et à laquelle il n’avait pas pu résoudre. Il y est question d’ascendants et de descendants. Les uns sont dans la tombe, les autres dans le berceau.

Il commence par les isoler dans le contenu manifeste “ Je suis en route ( fahre) dans un cabriolet et donne la consigne d’aller à une gare. Sur la voie ferrée proprement dite je ne peux naturellement pas aller ( fahren) avec vous, dis-je […] En fait les choses se présentent comme si j’avais déjà parcouru avec lui une partie du trajet que l’on parcourt (färht)”

Par contre ce qui permet la transcription du contenu manifeste au contenu latent du rêve c’est cette équivoque signifiante Vorfahren qui veut dire à la fois, comme un nom, Ancêtres, et comme verbe, avancer la voiture, la conduire devant la maison.

Pour poursuivre son interprétation Freud, comme c’est l’usage, part du reste diurne de ce rêve, l’événement du jour qui l’a provoqué, c’est une petite devinette qu’il n’avait pas été capable de résoudre et qui avait dû le contrarier.

Il s’agissait de deux équivoques portant sur les mots “ Nachkommen” qui signifie “ venir après” et donc “descendants” et de “Vorfahren” qui signifie ‘l’ascendant ou l’ancêtre”

A la suite de cette devinette Freud nous livre donc l’interprétation de ce rêve : «Lorsqu’après cela je vis le comte de Thun arriver en voiture avec un air majestueux et que je trouvais comme Figaro, que le mérite des grands seigneurs consiste à s’être donné la peine de naître (d’être des descendants), ces deux devinettes ont pu servir de pensées intermédiaires dans le travail du rêve ».

On arrive ainsi à la « pensée du rêve ». C’est elle qui témoigne de l’un des aspects de la version vers le père de Freud : « Il est absurde de se glorifier de ses ancêtres. J’aime mieux être moi-même un aïeul, un ancêtre ». ^ On peut noter que dans la bible, le fondateur d’une nouvelle lignée, c’est Noé. Il repart de zéro, si on peut dire. Je n’ai pas eu encore le temps de retrouver ce qu’il est dit du mythe de Deucalion. Cela m’a aussi fait penser au livre du Docteur Pascal dans la série des Rougon-Macquart, où lui aussi, ce docteur Pascal veut fonder une nouvelle lignée en fécondant sa jeune nièce Clothilde. Au moment de mourir, car c’est un vieillard, celle-ci lui annonce en effet qu’elle attend un enfant de lui, un enfant incestueux.
Le désir de Freud s’est lui aussi réalisé, il est devenu pour nous un ancêtre ; le fondateur d’une grande lignée, celle des psychanalystes, grâce à cette parole paternelle  » décidément on ne fera rien de de ce garçon.

 

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