Les effets de la lettre de Freud sur l’Homme aux loups

Le 6 juin L’homme aux loups répondit à la lettre de Freud[1] et à la question qu’il lui avait posé : avait-il vu avant ou après son rêve des loups, l’opéra La Dame du pique ? L’homme aux loups lui avait répondu du tac au tac en lui apportant deux nouveaux souvenirs de castration, l’un portant sur la castration des étalons, l’autre évoquant  une intervention chirurgicale chez une parente ayant des orteils surnuméraires et qu’on lui avait enlevé. Ce registre de la castration n’est ni symbolique, ni imaginaire, elle porte sur le Réel.

 

Le 16 juin, il vient voir Freud, donc après sa missive, et reçoit de lui la somme qui lui était allouée tous les ans. Ruth nous indique qu’il ne dit rien à Freud de ses symptômes. Voilà maintenant qu’il a « une névrose du cœur » ! De fait il souffre de palpitations et il l’attribue à un excès d’huile de foie de morue !

De plus il retourne voir le dermatologiste qui lui avait fait un temps beaucoup de bien, qui l’avait rassuré. Mais ce dernier a cette fois-ci une parole malheureuse «  Les cicatrices ne disparaissent jamais ».

C’est de cette phrase dont il ne peut plus se débarrasser. Elle résonne comme un oracle. «  Il ne lui restait donc qu’une seule  activité possible […] se regarder sans cesse dans un miroir de poche, afin d’établir avec exactitude l’étendue de sa mutilation ».

Est-ce qu’on ne trouve pas le même écho dans le réel de ces deux autres mutilations évoquées par ses deux souvenirs d’enfance dans sa lettre de réponse à Freud, la castration des étalons et la castration de cette parente dès sa naissance, seuls les organes différent, les organes génitaux, les orteils et son nez.

 

L’état de son nez, écrit Ruth Mack Brunswick était devenu pour lui « une idée fixe » autrement dit une obsession. Ce qui ne l’empêche pas d’évoquer, quelques pages plus loin la paranoïa de l’Homme aux loups. Ce qui l’entraîne vers ce diagnostic (erroné), c’est  un petit syndrome  persécutif : «  Dans son absolue détresse, notre patient était hanté par les pensées suivantes : comment le professeur X, le plus éminent dermatologue de Vienne, avait-il pu se rendre coupable d’un dommage aussi irréparable ? Etait-ce par suite d’un horrible et terrible accident ou bien par négligence ; ou peut-être même en vertu d’une intention inconsciente ? Et pense alors ce malade à l’esprit aiguisé et remarquablement formé, où finit l’inconscient et où commence le conscient ? C’est de tout son cœur que notre patient détestait le Professeur X, comme son plus mortel ennemi. » Ce n’est sans doute pas pour rien que Ruth Mack Brunswick, a nommé le professeur d’un X, l’homme aux loups détestait en effet Freud de tout son cœur, il était devenu son plus mortel ennemi, il était le professeur X.

 

C’est sans doute le seul moment, au cours de ses si longues années d’analyse,  qu’il s’était autorisé à manifester sa haine pour Freud, même si elle était transférée sur un autre professeur. Est-ce que Ruth Mack Brunswick a pu l’entendre ? Nous verrons ce qu’elle trouve à en écrire dans la chapitre suivant « Le cours de l’analyse actuelle ».

 

 

Lacan avait repéré un épisode persécutif du même ordre chez Dora après la scène au bord du lac, lorsque Monsieur K. lui avait affirmé que sa femme n’était rien pour lui. Il disparaissait en tant que tiers entre Dora et son père en tant que celui-ci  était son objet rival dans l’amour de Madame K. C’est dans la séance du 18 janvier 1956 du séminaire des Psychoses.

Je n’ai pas réussi à retrouver dans quel autre séminaire Lacan évoquait ces éléments délirants qui pouvaient naître lorsque sur le graphe du désir il y avait un écrasement de l’aire du désir, sous la pression d’une demande de l’analyste. Je pensais les retrouver dans le séminaire du Transfert, mais autant retrouver une aiguille dans une botte de foin. Je vais continuer à chercher.

En attendant, on s’aperçoit qu’en ces circonstances, ce n’est pas l’analysant qui demande, c’est Freud qui lui pose des questions et qui plus est hors du cadre analytique. Cela ne peut être que perturbant. Il y avait de quoi le faire délirer en provoquant chez lui un sentiment d’intrusion.

 



[1] Supplément p. 282 à 284 du gardiner

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