Faire et défaire, c’est toujours travailler

« Faire et défaire c’est toujours travailler » c’est ce que me disait ma grand-mère quand elle m’apprenait à tricoter et que j’avais laissé filer une maille en plein milieu de l’ouvrage. Il fallait tout redéfaire, tout détricoter, pour pouvoir la rattraper. C’était, si on peut l’appeler ainsi, de la topologie en acte.
Pour ce qu’il en est de tricoter et de détricoter le symptôme Freud était un as.
C’est le verbe « faire » que tu as utilisé l’autre jour, Nathanaël, qui m’a fait penser à tout ce que Freud réussissait à en faire – de ce verbe – et avec quel brio !

Tel Midas, qui transformait tout ce qu’il touchait en or, Freud se vante de tout transformer … en merde !
Ce passage se trouve dans la naissance de la psychanalyse, c’est à dire dans l’une de ses lettres adressées à Fliess.  C’est une petite merveille de clinique analytique.
Mais pénétrons d’abord dans l’intimité de ces deux amis :

« Mon cher Wilhelm,
Me revoici de bonne humeur et impatient de me trouver à Breslau, c’est à dire de te revoir et d’écouter tout ce que tu auras à de beau à m’apprendre sur la vie et sur la façon dont elle relève de la marche du monde. Cette question m’a toujours intéressé mais, jusqu’à présent, je n’ai jamais trouvé personne qui fut capable de me donner une réponse. Sil se trouve maintenant deux êtres, l’un pouvant dire ce qu’est la vie et l’autre révéler (approximativement) ce qu’est l’esprit, comment ne pas trouver juste qu’ils aient souvent l’occasion de se rencontrer et de discuter ».
Voici donc, au passage, un bel exemple de ce qu’est l’amour de transfert avec la dimension de la foi : il faut y croire.

Mais voici unes des petites découvertes, opposées au grandes que Fliess, lui, est sensé effectuer :
Il écrit « En ce qui concerne la névrose obsessionnelle, il se confirme que c’est par la représentation verbale et non par le concept lié à cette dernière que le refoulé fait irruption. » On ne peut qu’admirer le fait qu’en bon clinicien, Freud devance ici les linguistes et les logiciens du signifiant.
« C’est pour cette raison, poursuit Freud, que dans les cas d’idées obsédantes, les choses les plus disparates se trouvent unies sous un vocable à significations multiples. Ces mots à plusieurs sens permettent pour ainsi dire à la poussée irruptive de faire une pierre deux coups, comme le montre l’exemple suivant : une jeune fille, élève d’une école de couture, va bientôt terminer son apprentissage. Une idée obsédante la poursuit : il faut qu’elle continue, il faut qu’elle en fasse davantage…
A l’arrière plan de ses obsessions, se dissimule un souvenir d’enfance : assise sur un pot de chambre, elle ne veut pas y rester, tout en se répétant de la même façon qu’il fallait qu’elle restât, qu’elle fît davantage, qu’elle n’avait pas fini. Le mot faire permet de raccorder la situation présente à la situation infantile…

Nous voici donc en présence des signifiants de la pulsion anale avec ce verbe réprouvé par les professeurs de français de mes années de lycée. Ce verbe « faire » ne devait pas être utilisé dans les dissertations parce étant justement un mot à tout faire.
Et pour confirmer ce registre anal, Freud poursuit, c’est là qu’il se compare au vieux roi Midas : Un de mes vieux fantasmes que j’aimerais soumettre à ta sagacité linguistique -il ne faut pas oublier que nous sommes aux tout premiers temps de l’invention de la psychanalyse – a trait à l’origine de nos verbes, qui dérivent de ces termes primitivement copro-érotiques. Je puis à peine t’énumérer tout ce qui pour moi, nouveau Midas, se transforme en immondices. Tout cela concorde parfaitement avec la théorie de la puanteur interne. Et surtout l’argent lui-même pue…. De même tous les récits d’accouchements, de fausses couches, de menstrues sont liées au W.C par l’entremise du mot Abort (Abortus). Il faut pour saisir ce glissement de sens savoir qu’en allemand le mot Abort signifie à la fois W.C et avortement.

N’est-ce pas un bel exemple de tricotage et de dé-tricotage, maille à maille du jeu signifiant ? Freud sait vraiment y faire avec les symptômes et ce grand benêt de Fliess, ce chatouilleur de nez, comme l’appelait Lacan, n’était pas pour grand chose dans ce travail, si ce n’est qu’il lui était adressé.

Cette lettre se trouve page 212 de la naissance de la psychanalyse.

Ce texte est un extrait des « Lettres à Nathanaël ; Une invitation à la psychanalyse », paru chez L’Harmattan en octobre 2005.

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