Comment les souvenirs d’enfance oubliés sont retrouvés dans et par les rêves

asplenium ruta muralisLes rêves « hypermnésiques »
Ce qualificatif d’hypermnésique à propos du rêve a été choisi par Freud dans l’un des premiers chapitres de son Interprétation du rêve, intitulé «  B – Le matériau du rêve -La mémoire dans le rêve ». Au cours de mes premières lectures de cet ouvrage, il y a des années, je n’avais jamais prêté attention à ce qualificatif qui résonne pourtant bien avec la célèbre amnésie infantile. C’est en effet grâce, si on peut dire, à ces rêves hypermnésiques (ou supermnésiques ?) que cette dite amnésie infantile peut être levée. Car ils révèlent les plus précieux de nos souvenirs d’enfance et donc les sources de notre névrose. Il me semble que les rêves qui suivent en apportent démonstration.*
Le rêve des petits lézards et de la fougère
L’un des premiers rêves cités par Freud est celui qu’il a emprunté à un dénommé Delboeuf.
Ce que Freud s’attache à démontrer c’est le fait que le rêve va chercher son matériel, il s’agit donc de la fabrication du rêve, en un lieu inconnu du sujet conscient. Il y a du savoir qui ne sait pas, un savoir insu du sujet et c’est là que se trouvent les sources du rêve. C’est ce que Freud s’attache à démontrer par ce rêve.
« Delboeuf raconte un exemple de cette espèce, particulièrement impressionnant, et tiré de sa propre expérience onirique. Il avait vu en rêve la cour de sa maison couverte de neige et trouvé enfouis sous la neige deux petits lézards à moitié engourdis, qu’en bon ami des bêtes il avait recueillis, réchauffés, puis ramenés dans la petite anfractuosité du vieux mur qui leur été destiné. Outre cela il y avait mis pour eux quelques feuilles d’une fougère qui poussait dans le mur et dont il savait qu’ils étaient friands. Dans le rêve, il savait dire le nom de la plante : Asplenium ruta muralis. Puis le rêve continuait, revenait au lézards après une parenthèse et montrait à Delboeuf, très étonné, deux nouvelles petites bêtes qui avaient attaqué avec appétit les restes de la fougère. Après quoi il jetait les yeux autour vers la campagne, voyait un cinquième, puis un sixième lézard prendre le chemin du trou dans le mur et finalement la route toute entière était recouverte d’une procession de lézards qui se déplaçaient tous dans la même direction, etc. »

Delboeuf affirme que sur le plan conscient, il ignorait jusqu’à l’existence d’une fougère qui se serait appelée Asplenium ruta muralis. De fait elle s’appelait Asplenium ruta muraria. Pourtant, le rêve ayant eut lieu en 1862, seize ans plus tard, se trouvant chez des amis, « il aperçoit un petit album de fleurs séchées […] un souvenir remonte en lui, il ouvre l’herbarium, y trouve l’Asplenium de son rêve et reconnaît sa propre écriture dans le nom latin adjoint . »
S’il avait été en analyse avec Freud, peut-être en effet qu’il aurait travaillé cette substitution MURARIA/MURALIS. Je ferais bien le pari que là se trouve le secret de ce rêve !

De même le second élément du rêve, celui des lézards, a lui aussi été retrouvé : « Un jour de 1877, lui est tombé entre les mains un vieux volume d’une revue illustrée dans laquelle il pouvait voir sur une image tout le cortège de lézards, tel qu’il les avait rêvé en 1862. »
Pour ma part, je verrai bien dans les lézards qu’au reste il nourrit volontiers, des petits enfants, tout comme souvent ce que représentent les petits animaux de toutes sortes, insectes, vermines, rats et souris.   Je trouve aussi que ce n’est sans doute pas par hasard que Freud a choisi ce rêve avec de la botanique et des histoires d’herbier, alors que plus loin dans son livre il va nous parler de son rêve de la Monographie botanique. Il en est l’annonce.  D’ailleurs, dans toute cette partie de l’ouvrage, Freud se révèle pour ce qu’il est : un vrai  » rat de bibliothèque ». Ce n’est pas la partie du livre que je préfère : elle est un peu fastidieuse. Mais peut-être qu’on va y découvrir des perles freudiennes et notamment celle-ci : «  Que le rêve dispose de souvenirs inaccessibles à l’état de veille est un fait objectif si remarquable et théoriquement important que je voudrais en communiquant ici d’autres rêves « hypermnésiques », renforcer l’attention qu’il faut lui porter ».

Le rêve du médecin borgne
Parmi ces rêves, se trouve le premier des rêves de Freud. Je l’appelle « le rêve du médecin borgne ». Il précède le célèbre rêve de l’injection faite à Irma.
Voici le texte de ce rêve tel que Freud nous le rapporte : «  Je voyais une personne dont je savais qu’elle était le médecin de mon pays natal. Son visage était indistinct et se confondait avec celui d’un de mes professeurs de mon lycée que je rencontre encore aujourd’hui. Réveillé, je ne pus découvrir quel rapport unissait ces deux personnages. Je parlais à ma mère de ce médecin, j’appris qu’il était borgne ; Le professeur dont le visage se confondait dans mon rêve avec celui du médecin l’était aussi. Il y avait trente huit ans que je n’avais plus vu ce médecin et jamais à ma connaissance je n’avais pensé à lui, durant la veille, bien qu’une cicatrice au menton eût dû me rappeler une de ses interventions. »
La preuve apporté par sa mère de la véracité de ce souvenir, n’est pas pour autant le fin mot de ce rêve. Comme c’est un rêve de Freud, il nous indique un au-delà de la réalité de ce souvenir, un fil à suivre, avec le réel de sa cicatrice au menton.
Rêve de la « femme aux cheveux d’or »
Avant ce rêve du médecin borgne, Freud décrit un joli rêve, celui de la femme aux cheveux d’or, qui mérite d’être choisi, lui aussi. Il est décrit par un marquis au nom poétique, le marquis d’Hervé de Saint Denys. Dans ce cas particulier, c’est un second rêve qui livre le secret du premier, le souvenir qui n’avait pas été retrouvé et qui en apporte la preuve.

«  J’ai rêvé une fois d’une femme aux cheveux d’or que je voyais bavarder avec ma sœur tandis qu’elle lui montrait un ouvrage de tapisserie. Dans le rêve j’avais l’impression de bien la connaître et je pensais même l’avoir déjà vue plusieurs fois. Au réveil j’ai déjà ce visage très vivant devant moi mais je ne peux absolument le reconnaître. Je me rendors, l’image du rêve revient. Dans ce nouveau rêve j’adresse la parole à cette dame blonde et lui demande si j’ai jamais eu le plaisir de la rencontrer. « Certainement répond la dame, souvenez-vous simplement des bains de mer à Pornic. »

Là aussi, le rêve nous mène vers la réalité d’un souvenir, un souvenir qui garde sa dimension d’énigme malgré sa localisation très précise dans le temps et le lieu. C’est l’héroïne du rêve qui témoigne de son exactitude, mais, comme tous les autres rêves de ce chapitre, il attend d’être analysé, interprété. Peut-on dire que déjà Freud, avec ces premiers rêves, évoque ce que plus tard, au cours de ses élaborations plus tardives, il appellera souvenir-écran ?

En résumé

A propos de ces rêves dits « Hypermnésiques », on peut déjà déduire ceci quant à la théorie du rêve :

– 1 Il y a du savoir qui ne se sait pas et qui peut être révélé dans les rêves.

– 2 Dans les rêves s’expriment des souvenirs liés à l’enfance et qui sont source de la névrose du sujet. Ces souvenirs ne sont pas ceux des grands événements marquant de son histoire, mais des petits petits détails adjacents et le plus souvent sans importance qui accompagnent ces événements. Ces événements que l’on peut déjà annoncer comme étant des événements traumatiques. Ainsi, alors que Freud semble éponger la littérature concernant le rêve, on découvre qu’il souligne déjà un des éléments métapsychologiques qui président à la fabrication du rêve, le déplacement vers l’infime, l’indéfini, le vague, le contingent.

– 3 On découvre donc déjà, dans ces premiers rêves, les deux modes de procédés de leur formation, condensation, celle par exemple, du médecin borgne composé avec le professeur du lycée de Freud, et déplacement. Les termes allemands sont la « Verdichtung » pour la condensation. « Versetzung » c’est le déplacement. Lacan les pose comme équivalents à la métaphore et à la métonymie.

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