Dans mon dernier podcast j’ai évoqué le livre de Jacques Roubaud, “Ma vie avec le docteur Lacan”. Or toute une collection sous ce titre existe chez Gallimard. On y trouve “Ma vie avec Proust”, “Ma vie avec Mauriac”, ou encore « Ma vie avec Stéphane Mallarmé”. Les auteurs y témoignent de leur étroit compagnonnage avec chacun des auteurs qu’ils ont choisi d’évoquer. Dans sa minuscule autobiographie, Jacques Roubaud, lui, en fait, en apparence, une sorte de pastiche ironique puisque il n’y décrit que trois ou quatre brèves rencontres. Mais ces rencontres bien que rares furent pourtant décisives avec celui qui fut un si célèbre psychanalyste.
Mais il a aussi une autre collection de livres qui m’a bien plu, c’est celle d’Un été avec…. J’en ai lu quelques-uns, “Un été avec Montaigne”, avec Homère ou Victor Hugo ou encore “Un été avec la comtesse de Ségur”. Tous ces auteurs nous invitent, cette fois-ci, à partir en vacances avec eux en partageant leurs lectures.
Leur emboîtant le pas, j’ai donc choisi comme titre de mon podcast “ Un été avec Jacques Lacan” puisqu’il y est en effet question de vacances.
C’était dans les années 1975, c’était presque l’été, peut-être en mai ou juin. Dans la semaine j’avais été voir un film dont j’ai oublié le titre. L’intrigue décrivait les liens étroits d’une jeune fille avec son père. Je crois me souvenir qu’elle partait en voyage avec son père et qu’il leur arrivait de multiples aventures. Je me souviens que pour fêter son anniversaire, il avait organisé en son honneur un concert avec Gilbert Bécaud, une vraie vedette. Il n’avait donc chanté rien que pour elle et ses invités. Ce qui était donc un somptueux cadeau, le cadeau d’un père à sa fille.
Ce film qui n’était après tout qu’une gentille comédie romantique, m’avait permis d’admirer et surtout d’envier ces liens si harmonieux, d’un certain point de vue idyllique, tout à fait œdipiens, entre un père et sa fille, Au cours des séance d’analyse qui avaient suivi, j’avais parlé des effets de transfert qu’avait eu pour moi ce film, réactualisant ainsi mes relations à mon père et en réalisant surtout que n’étais jamais partie en vacances seule avec mon père. Mais par contre je n’avais pas tout de suite fait le lien avec le fait que le temps des vacances approchait et avec cela l’arrêt pour deux longs mois des séances d’analyse.
C’est en ces circonstances que Lacan m’a alors invité à venir à Guitrancourt, dans sa maison de campagne, pendant ses vacances d’été, pour poursuivre mes séances d’analyse. Ce fut mon été avec Jacques Lacan !
Après si longtemps en y repensant je me demande comment Lacan procédait lorsqu’il rencontrait dans l’analyse cette question de la sortie de l’œdipe de la petite fille avec ce concept qu’il a emprunté à Freud, celui de la Versagung. Ce terme, ce concept même, qui a d’abord été traduit par les analystes français par celui de frustration. Lacan en avait proposé cette autre traduction, celle de “promesse non-tenue”, de “dédit” ce qui serait plutôt donc de l’ordre de la trahison de la parole donnée, celle du père.
Cette fondamentale déception à l’égard du père est certes de structure puisque qu’elle n’est jamais que la conséquence de l’œdipe et pour la petite fille elle est liée à nécessité de renoncer non seulement à avoir un pénis mais également à obtenir un enfant du père. Cette Versagung est aussi la source de la névrose, en raison des défaillances du père réel par rapport à tout ce qui est exigé de lui et qui est de l’ordre de la prouesse, à savoir d’être l’agent de la castration symbolique pour chaque sujet. Il ne peut donc y démontrer que ces insuffisances par rapport à ce qui est attendu de lui. La question serait donc de savoir s’il est possible d’y remédier par l’analyse, au moins quant à ce qui en est des effets de la névrose. Mon hypothèse serait que Lacan savait user de la grande équation symbolique celle décrite par Freud, l’équivalence posée entre tous ces objets que sont l’argent, la merde, l’enfant, le pénis mais aussi le cadeau. En effet, à partir des confidences de quelques analysantes, amies ou collègues, mais aussi de ma propre expérience, il me semble qu’on peut en déduire que Lacan trouvait pour chacune, en un certain temps de l’analyse, un cadeau, cadeau qui avait pour elle une haute valeur symbolique, pour l’une un thé partagé, un jour de grand froid, pour l’autre, un repas au restaurant, pour moi, c’était ces vacances à Guitrancourt, mes vacances avec Jacques Lacan.
C’était en somme pour lui, dans le cadre du complexe de castration, ( le complexe de castration féminin), une façon élégante d’élever ce phallus imaginaire au rang de signifiant, d’en faire le signifiant du désir, du désir de l’Autre.
N.B : Dans l’un des textes des Ecrits “ Du trieb de Freud et du désir du psychanalyste”, Lacan, à propos de cette question de la castration, a glissé l’une de ses petites formules magiques dont il avait le secret accompagné bien sûr de quelques phrases sibyllines que je restitue ici. Il y évoque “l’assomption de la castration”. Il pose le fait que c’est plutôt “l”assomption de la castration qui crée le manque dont s’institue le désir” et il précise que “c’est le phallus par défaut qui fait le montant de la dette symbolique : compte débiteur quand on l’a quand, quand on ne l’a pas, créance contestée”.
Cette créance contestée a attiré mon attention puisqu’elle concerne donc l’assomption de la castration pour les femmes. Je me suis interrogée sur ce terme de créance, il est en effet en somme le support de la dette. Celle qui a la créance, la créancière, est en mesure de demander le montant de la dette, d’exiger en somme son dû. Mais Lacan atténue en quelque sorte la portée de son affirmation, il s’agit en effet d’une “créance contestée” !
Cela m’a évoqué ce qu’il disait des femmes de l’antiquité, celles qu’Aristophane décrivait dans ses comédies, Lysistrata ou encore L’assemblée des femmes, comment elles se révélaient capables de réclamer leur dû. Les lettres de créance qu’elles peuvent adresser à un homme sont en effet, pour les femmes, la marque de leur castration. Je n’articule pas encore de façon plus précise en quoi ce nota bene est en lien avec mon podcast sur mon été avec Jacques Lacan, si ce n’est peut-être que par ce cadeau il y témoignait justement, pour lui-même, de ce qu’il a nommé “désir du psychanalyste”.