La vieille dame qui, dans son rêve, n’arrêtait pas de tomber

 

Cette vieille dame est la même qui, dans la page précédente, était toujours pressée. D’ailleurs dans ce premier rêve elle est bousculée et tombe.  Freud nous présente ce second rêve pour mettre en évidence le fait que le contenu manifeste de ce rêve est en lien non pas avec un seul souvenir d’enfance, mais avec plusieurs. Ils sont tous des souvenirs de chute.

« Elle sort faire des commissions en tout hâte. Après quoi, sur le Graben, elle tombe à genou, comme effondrée. Une foule de gens se rassemble autour d’elle, notamment des cochers de fiacres ; mais personne ne l’aide à se relever. Elle fait, en vain, de nombreuses tentatives ; finalement il faut bien que ça ait réussi, car on l’assied dans un fiacre sensé la ramener chez elle : par la fenêtre on lui lance encore un grand panier lourdement rempli (qui ressemble à un panier de courses). » (p. 242 L’Interprétation du rêve, traduction J.P Lefèbvre)

Les associations de ce rêve révèlent en effet plusieurs souvenirs de chutes survenus à différentes périodes de sa vie :

1 – Elle avait vu un cheval faire une chute.

2 -Un fils du concierge, alors âgé de dix-sept ans, atteint de spasmes épileptiques.  On l’avait ramené chez lui dans une voiture, comme elle a été ramenée chez elle en fiacre. Elle avait imité cet événement dans ses propres accès hystériques.

3 -Le Graben, à Vienne, est le corso de la prostitution. Lorsqu’une femme tombe, nous dit Freud, cela a toujours un sens sexuel. Elle ne peut que tomber bien bas.

4 – D’autres souvenirs d’enfance : « une cuisinière renvoyée parce qu’elle volait, tombée, elle aussi à genou et suppliante » (elle avait douze à l’époque).

5- Le souvenir d’une femme de chambre renvoyée parce qu’elle avait lié une relation avec un cocher de la maison, souvenir qui date de ses dix ans,
6 – « le souvenir d’une bonne qui s’était livrée à la campagne à des scènes d’amour avec un serviteur de la maison, dont l’enfant avait pu malgré tout percevoir quelque chose ».
C’est le signifiant « Tomber » qui y est à chaque fois à l’œuvre. En français « on tombe de haut » ou « on tombe bien bas ». « on tombe enceinte » ou on « tombe amoureux ».  Mais l’expression viennoise que cite Freud, dans la psychopathologie quotidienne, au chapitre « Méprises et maladresses » précise son sens sexuel : Elle dit ceci «Quand une femme tombe, c’est toujours sur le dos ».   Elle peut paraître grivoise, voire insultante pour certains, mais Freud la cite pour intégrer toutes ces chutes symptomatiques comme des manifestations de la névrose, voire de la normalité sexuelle : « Je me rappelle un grand nombre d’affections nerveuses légères qui se sont déclarées chez des femmes et des jeunes filles, à la suite d’une chute sans lésion aucune et qui ont été interprétées comme des hystéries traumatiques provoquées par la peur. Je soupçonnais alors qu’il n’en était pas tout à fait ainsi, que la succession des faits devait être différente, que la chute pouvait bien être elle-même une manifestation de la névrose et une expression de ces idées inconscientes à contenu sexuel auxquelles on doit accorder, parmi les symptômes, le rôle de forces motrices. »

Outre les chutes et bien sûr associés à elles se trouvent, dans ce rêve, exprimés, avec la référence au « Graben », des fantasmes de prostitution.

C’est Hélène Deutsch qui leur a donné leur titre de noblesse dans l’approche de la sexualité féminine, dans son ouvrage « Psychologie des femmes », dans le premier volume « Enfance et adolescence ».  Ils trouvent place dans ce que cette analyste décrit en deux chapitres, comme ingrédients de la féminité, Passivité et Masochisme, faute de pouvoir dire ce que c’est être une femme.  Voir de même le texte de Freud  » La féminité ».  Les fantasmes de prostitution y mettent en effet en scène ces deux composantes.  Hélène Deutsch qui a une bonne connaissance de ces fantasmes y fait même intervenir le père comme sauveur, en tant qu’il lui permet d’échapper à son destin de prostituée, tandis que la mère est représentée comme une mère maquerelle, la tenancière de ce bordel. C’est du beau monde tout ça.

A propos de la relecture de ces textes, en ce moment, cela m’a fait penser à une question qui n’est pas évidente mais bien intéressante : il me semble qu’avec l’aide de ces fantasmes de prostitution, on peut faire se rejoindre ce que Freud dit de l’impossible définition de ce qu’est être une femme, qu’il remplace par  le concept de passivité et de masochisme et  ce qu’en avance  Lacan comme indiquant qu’une femme  n’est pas-toute dans la fonction phallique, mais il faudrait que je travaille davantage cette articulation.  Dans les formations de l’inconscient, il y a quelque chose de cet ordre. Lacan y indique que dans ces fantasmes, ce qui y ait mis en jeu, c’est un phallus en quelque sorte anonyme, dont en tant que femme, elle s’emparerait, mais ce par rapport à son désir maintenu au désir de sa mère.  On serait dans le pré-œdipe et ce qu’Hélène Deutsch a repéré de la fonction du père comme sauveur dans la maison close œdipienne serait décisive comme entrée en somme dans l’œdipe avec le changement d’objet et d’organe.

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