» L’écrit c’est le retour du refoulé »

Lacan commence cette séance 15 décembre 1971 du séminaire … Ou pire, en parlant de l’écriture. Le prétexte en est qu’on vient de lui offrir un stylo. C’est une occasion pour lui d’établir me semble-t-il plusieurs sortes d’usages de l’écrit.

Il écrit tout d’abord quand il prend des notes en vue de son séminaire, quand il écrit pour trouver quelque chose et enfin quand il écrit pour l’édition. Mais il y a encore une autre opposition l’usage qui est fait de la lettre dans la logique.

« C’est un fait que — au moins pour moi — c’est quand j’écris que je trouve quelque chose. Ça ne veut pas dire que si j’écrivais pas, je ne trouverais rien. Mais enfin je m’en apercevrais peut-être pas. En fin de compte, l’idée que je me fais de cette fonction de l’écrit qui, grâce à quelques petits malins, est à l’ordre du jour et sur quoi enfin je n’ai peut-être pas trop voulu prendre parti — mais on me force la main, pourquoi pas? — l’idée que je m’en fais, en somme — et c’est ça qui peut-être dans certains cas a prêté à confusion — je vais le dire comme ça, tout cru, tout massif, parce que, aujourd’hui justement, je me suis dit que l’écrit, ça peut être très utile pour que je trouve quelque chose, mais écrire quelque chose pour m’épargner ici, disons, la fatigue ou le risque ou bien d’autres choses encore que je veuille vous parler, ça ne donne pas finalement de très bons résultats. Il vaut mieux que je n’aie rien à vous lire.

D’ailleurs, ce n’est pas la même sorte d’écrit qui est l’écrit où je fais quelques trouvailles de temps en temps ou l’écrit où je peux préparer ce que j’ai à dire ici Puis alors il y a aussi l’écrit pour l’impression, qui est encore tout à fait autre chose, qui n’a aucun rapport, ou plus exactement dont il serait fâcheux de croire que ce que je peux avoir écrit une fois pour vous parler, ça constitue un écrit tout à fait recevable et que je recueillerais.

Voici donc cette définition de l’écrit qui est neuve et je dirais bien frappante : « l’écrit c’est le retour du refoulé »

« Donc, je me risque à dire quelque chose, comme ça, qui saute le pas. L’idée que je me fais de l’écrit, pour le situer, pour partir de là, on pourrait discuter après, bon enfin, disons-le, deux points : c’est le retour du refoulé.

Je veux dire que c’est sous cette forme — et c’est ça qui peut-être a pu prêter à confusion dans certains de mes écrits précisément — c’est ce qui a pu parfois paraître prêter à ce qu’on croie que j’identifie le signifiant et la lettre, c’est justement parce que c’est en tant que lettre qu’il me touche le plus, moi, comme analyste, c’est en tant que lettre que le plus souvent je le vois revenir, le signifiant, le signifiant refoulé préci­sément. Alors, que je l’image dans « l’Instance de la Lettre », enfin, avec une lettre, ce signifiant — et d’ailleurs, je dois dire que c’est d’autant plus légitime que tout le monde fait comme ça, la première fois qu’on entre à proprement parler dans la logique, il s’agit d’Aristote et des Analytiques, ben, on se sert de la lettre aussi, pas tout à fait de la même façon que celle dont la lettre revient à la place du signifiant qui fait retour. Elle vient là pour marquer une place, la place d’un signifiant qui, lui, est un signifiant qui traîne, qui peut tout au moins traîner partout. Mais on voit que la lettre, elle est faite en quelque sorte pour ça et on s’aperçoit qu’elle est d’autant plus faite pour ça que c’est comme ça qu’elle se manifeste d’abord.

Je ne sais pas si vous vous rendez bien compte, mais enfin j’espère que vous y penserez, parce que ça suppose quand même quelque chose qui n’est pas dit dans ce que j’avance. Il faut qu’il y ait une espèce de transmutation qui s’opère du signifiant à la lettre, quand le signifiant n’est pas là, est à la dérive, n’est-ce pas, a foutu le camp, dont il faudrait se demander comment ça peut se produire. Mais ce n’est pas là que j’ai l’intention de m’engager aujourd’hui, j’irai peut-être un autre jour ».

Oui ! Tout de même on ne peut pas faire que, sur le sujet de cette lettre, on n’ait affaire, dans un champ qui s’appelle mathématique, à un endroit où on ne peut pas écrire n’importe quoi. Bien sûr, ce n’est pas… je ne vais pas non plus m’engager là-dedans. Je vous fais simplement remar­quer que c’est en ça que ce domaine se distingue et que c’est même probablement ça qui constitue ce à quoi je n’ai pas encore fait allusion ici, c’est-à-dire ici, au séminaire, mais enfin que j ‘ai amené dans quelques propos où sans doute certains de ceux qui sont ici ont assisté, à savoir à Sainte-Anne, quand je posais la question de ce qu’on pourrait appeler un mathème, en posant déjà que c’est le point pivot de tout enseignement, autrement dit qu’il n’y a d’enseignement que mathématique, le reste est plaisanterie.

Ça tient bien sûr à un autre statut de l’écrit que celui que j’ai donné d’abord. Et la fonction enfin, en cours de cette année de ce que j’ai à vous dire, c’est ce que j’essaierai de faire ».

Il y a deux points donc à souligner et surtout à déchiffrer d’une part, l’écrit définit comme retour du refoulé, d’autre part cette question de ce qu’il décrit comme étant la « transmutation du signifiant en lettre ». N’est-ce pas ce que Lacan a tenté pendant toutes ces années de séminaire sous ce nom de logique du signifiant ? Voici comment je formulerai ce que j’en ai saisi :

Quand Lacan prend des notes pour préparer son séminaire ce qu’il écrit peut se définir comme de simples représentations de mots. Il ne s’agit pas pour autant de les laisser à la postérité sous la forme d’un écrit éventuellement publié, édité. Cependant peut-on dire qu’il s’agit déjà de ce qu’il appelle transmutation du signifiant en lettre ? Littéralement, il me semble que ça en est déjà une première forme. La deuxième forme est celle qu’il décrit comme une mise en exercice de l’écrit comme retour du refoulé. Cela fait penser à ce qu’il disait du lapsus comme étant toujours un lapsus calami, un lapsus de plume. Prenons en quelques exemples, ce sont le plus souvent des néologismes ou des déformations de mots. L’une-bévue pour traduire le mot allemand qui signifie l’inconscient « Unbewusste », le discours courant qu’il écrit disque-ourant, dit-mension, inter-dit, ou encore « les non dupes errent » ou lieu des noms du père, titre du séminaire mis en suspens.

C’est en effet par les jeux de l’orthographe qu’apparaissent ces retours du refoulé, soit les manifestations de l’inconscient, les symptômes de Lacan. Il y a donc bien transmutation du signifiant à la lettre, celle du symptôme ou sinthome. Cette transformation là correspond strictement à ce en quoi consiste l’interprétation de l’analyste «  à ce qui s’énonce de signifiant, vous donnez une autre lecture que ce qu’il signifie »1.

La troisième forme de transmutation du signifiant en lettre est celle de la logique et tout aussi bien de la logique dite du signifiant. C’est celle où Aristote souffle sur les signifiants cygnes et blancs, dans l’affirmative universelle « Tous les cygnes sont blancs » pour les remplacer par une lettre « tout a est b ». Lacan en fait tout autant en remplaçant tout homme ou pastoute femme est dans la fonction phallique, par un x. qui en devient argument.

 

 

 

 

1 J. Lacan, Encore, La fonction de l’écrit, p.37.

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