Lacan relit le rêve de celle qui était arrivée trop tard au marché

La place du signifiant phallique

Dans deux séances du séminaire Les formations de l’inconscient, celle du 7 mai et du 14 mai 1958  Lacan reprend les trois rêves de cette jeune femme hystérique qui était arrivée trop tard au marché et avait trouvé la boucherie fermée. Il évoque tout d’abord, à ce propos, le plaisir qu’il a à relire et travailler cet ouvrage de ‘Interprétation du rêve. «  Je dois dire que ce n’est pas aujourd’hui que j’en fait la remarque : on est émerveillé de ce texte de la Traumdeutung. On est émerveillé comme une sorte de miracle parce que ce n’est vraiment pas trop dire qu’on peut le lire comme une pensée en marche. Mais c’est bien plus encore : les choses sont amenées dans des temps qui correspondent à plusieurs plans, surdéterminés […] la portée de ce qui vient en premier dépasse de beaucoup les raisons qui sont données pour les mettre en premier dans les titres. »

C’est en effet ce qu’il va démontrer tout d’abord avec le premier rêve. Il le reprend dans le droit fil de son analyse du rêve de la belle bouchère. Avec ce rêve il avait dessiné sur le graphe du désir, la fonction du désir insatisfait, en tant qu’il assure en quelque sorte ce qu’il appelle un au-delà de la demande, la nécessité de l’aire du désir. Avec le rêve de celle qui était arrivée trop tard au marché. Il explicite ce qu’est pour lui le phallus, à savoir un signifiant et l’inscrit sur la ligne haute du graphe du désir qu’il définit aussi (et entre autres définitions) comme étant justement la ligne du complexe de castration.

Lacan suit, comme nous l’avons fait précédemment, l’analyse de ce rêve par Freud, puis le commente ainsi « voici, de la façon la plus claire, représenté un autre rapport de l’hystérique avec quelque chose qui est ce sur quoi nous centrons pour l’instant notre but. J’ai la dernière fois indiqué que l’hystérique, dans son rêve et dans ses symptômes, a besoin   que soit marqué quelque part la place du désir comme tel. Ici c’est d’autre chose dont il s’agit, c’est de la place du signifiant phallus […] Il s’agit du désir en tant qu’il est supporté par son signifiant, le signifiant phallus, par hypothèse puisque c’est de cela dont nous parlons.

Il s’agit de savoir quelle fonction joue dans cette occasion le signifiant. Freud, comme vous le voyez introduit là sans aucune espèce d’hésitation, sans aucune espèce d’ambiguïté, le signifiant Phallus et ce qui est en cause quand il s’agit de quelque chose qui est le seul élément qu’il n’a pas mis en valeur comme tel dans son analyse parce qu’il fallait bien qu’il nous laisse quelque chose à faire, mais qui est tout à fait frappant. »

Il centre son analyse du rêve sur cette phrase de Freud «  On ne peut plus en avoir ». En allemand c’est «  Das ist nicht mehr zu haben » et il précise « Ce n’est pas une expérience frustrante, c’est une signification, c’est une articulation signifiante du manque d’objet comme tel. Ceci bien entendu s’accorde avec la notion qui est celle que je veux ici mettre au premier plan c’est que le phallus est la signifiant ici, en tant que ne l’a pas qui, ne l’a pas l’Autre… »

Ne pourrait-on pas dire dès lors, que ce qui définit le phallus c’est de signifier tout simplement le pénis absent de la mère ?

En cette année du séminaire des formations de l’inconscient, Lacan a construit pas à pas et à l’aide d’exemples cliniques très concrets, le graphe du désir. Ainsi c’est avec le rêve de la belle bouchère et son désir insatisfait de saumon, qu’il avait indiqué la nécessité pour elle d’avoir un au-delà de la Demande, une aire du désir. Cette fois-ci avec les trois rêves de cette analysante du type de l’eau qui dort, il inscrit la nécessité de la ligne du haut du graphe, qui selon les contextes reçoit des dénominations différentes1. Cette fois-ci il la nomme en effet «  ligne du complexe de castration » et pour la marquer ainsi il y inscrit une lettre la lettre grand phi .

Dans les pages qui suivent et aussi dans la séance suivante il commente les deux autre rêves à propos de ce désir d’être le phallus, le signifiant du désir de l’Autre. Des points théoriques qui pour moi restent encore très énigmatiques ! En tout cas, il me semble qu’on voit déjà se dessiner ce que Lacan formulera de façon plus elliptique «  il n’y a pas de rapport sexuel ». En effet ce à quoi chacun a affaire ce sont ses démêlés avec le phallus : est-ce qu’on l’est ou qu’on ne l’est pas ? Est-ce qu’on l’a ou on ne l’a pas ? C’est court !

1Par rapport à la chaîne signifiée, elle est aussi appelée chaîne signifiante, mais aussi chaîne de l’énonciation par rapport à celle de l’énoncé, ou encore, contenu latent du rêve par rapport à son contenu manifeste.

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