9 – Les « petits mythes » du Petit-Hans

Lacan et le petit-HansLacan commence sa lecture de la cinquième des cinq psychanalyses, celle du Petit Hans, dans le séminaire de la relation d’objet. A titre de points de repères, il évoque le fantasme de la girafe chiffonnée dans la séance du 27 février 1957, puis la fonction du père réel du Petit Hans en tant qu’agent de la castration symbolique dans la séance du 6 mars 1957. Il y prend appui sur son tableau des trois registres de la privation, frustration, castration, surtout dans la séance du 13 mars 1957.Ce qu’il précise bien en prenant appui sur le cas du Petit Hans, c’est « le caractère fondamental du lien qu’il y a entre le père réel et la castration ». Autrement dit avec l’aide concrète de l’analyse du Petit Hans il tente de faire saisir ce qu’est la castration symbolique du sujet.

A la fin de cette séance du 13 mars 1957, Lacan indique deux temps de cette analyse du Petit Hans. Un premier temps de foisonnement imaginaire, de jeux par exemple avec celles qu’il appelle ses petites filles, et un second temps, c’est celui auquel nous sommes arrivés dans le texte de Freud, le temps où « après les interventions du père, sous la pression de l’interrogation analytique plus ou moins dirigée du père auprès de lui, il se livre à cette sorte de roman vraiment fantastique dans lequel il reconstruit la présence de sa petite sœur dans une caisse dans la voiture sur les chevaux, bien des années avant sa naissance. Bref la cohérence que vous pourrez voir se marquer massivement entre ce que j’appellerai l’orgie imaginaire au cours de l’analyse du Petit Hans avec l’intervention du père réel »

Il reprend cette question dans une autre séance celle du 27 mars, sous cette référence ce qu’il appelle « les petits mythes du Petit Hans » : «On peut dire que le mode interrogatoire du père du petit Hans se présente à tout instant comme représentant une véritable inquisition quelquefois présente, voire même ayant tous les caractères d’une direction donnée aux réponses de l’enfant. Assurément le père, comme Freud le souligne en maints endroits, inter­vient d’une façon approximative, grossière, voire franchement maladroite. Il manifeste d’ailleurs lui-même toutes sortes de malentendus dans la façon dont il enregistre les réponses de l’enfant, dont il le presse pour trop comprendre, et trop vite, ce que Freud souligne également.
Et ce qui est tout à fait manifeste également à la lecture de l’observation, c’est que justement quelque chose se produit qui est loin d’être indépendant de cette intervention paternelle, avec tous ses défauts à tout instant pointés et désignés par Freud. C’est tout à fait manifeste, on voit le comportement de Hans et ses constructions, on le voit à la façon la plus sensible de répondre à telle intervention paternelle, on le voit même en particulier à partir d’un certain moment, s’emballer si on peut dire, et la phobie prendre un caractère d’ac­célération, d’hyperproductivité tout à fait sensible.
Bien entendu il est tout ce qu’il y a de plus intéressant de voir à quoi correspondent ces différents moments de la production mythique chez le petit Hans, et il y a aussi une chose qui est tout à fait manifeste, c’est que cette production tout en ayant ce caractère qu’indique d’une façon implicite dans le vocabulaire de tout un chacun, le terme d’imaginatif, à savoir ce caractère d’inventé, de gratuité même qui est impliquée dans l’usage qu’on fait de ce terme – quelqu’un récemment à propos d’un interrogatoire que je faisais d’un des malades que je présente, m’avait souligné chez ce malade le caractère ima­ginatif de certaines de ses constructions, et c’était pour lui quelque chose qui lui semblait toujours indiquer je ne sais quelle note hystérique de suggestion ou d’effet de la suggestion dans cette production du malade, alors qu’il était facile de s’apercevoir qu’il n’en était rien, mais que quoique provoquée, stimulée par une question, la productivité prédélirante du malade s’était manifestée avec son cachet et sa force de prolifération propres, selon strictement ses propres structures – cela n’est pas même du tout l’impression que l’on a quand il s’agit de Hans. On n’a pas l’impression à aucun moment, d’une production délirante, je dirais bien plus : on a l’impression nettement d’une production de jeu, non seulement de jeu, mais il est tout à fait clair que c’est tellement ludique que Hans lui-même a quelque embarras pour boucler la boucle et soutenir telle ou telle voie dans laquelle il s’engage après avoir indiqué je ne sais quelle magni­fique et énorme histoire confinant à la farce, sur l’intervention par exemple de la cigogne à propos de la naissance de sa petite sœur Anna. I1 est fort capable de dire : et puis après tout, ce que je viens de vous dire là, n’y croyez pas.
Néanmoins, il n’en reste pas moins que dans ce jeu apparaissent moins des termes constants qu’une certaine configuration fuyante quelquefois, d’autres fois saisissable d’une façon frappante, et c’est là ce dans quoi je voudrais vous introduire, à savoir cette sorte de nécessité structurale qui préside, non seulement à la construction de chacun de ce que l’on peut appeler avec toutes les pré­cautions d’usage, les petits mythes de Hans, mais aussi bien de leur progrès, de leur transformation, et spécialement en essayant d’attirer votre attention vers ceci, que ce n’est pas toujours obligatoirement leur contenu qui importe. Je veux dire que la reviviscence plus ou moins ordonnée d’états d’âme antérieurs, de ce qu’on appelle à cette occasion encore le complexe anal par exemple – qui sera épuisé dans tout ce que Hans se laisse aller à montrer à propos du Lumpf qui joue son rôle dans cette observation, et qui littéralement pour le père, que Freud nous dit avoir laissé délibérément dans l’ignorance de thèmes dont il était fort probable qu’il les rencontrerait, et que lui Freud prévoyait – est inattendue. Freud en nomme deux, et qui sont surgis au cours de l’ex­ploration de l’enfant par son père, à savoir le complexe anal, et ni plus ni moins, le complexe de castration.

N’oublions pas que le complexe de castration dans la théorie analytique à l’époque où nous nous situons (1906-1908) est une espèce de clé déjà capitale pour Freud, mais qui n’est pas du tout à ce moment là mise en pleine lumière, révélée à tous comme étant la clé centrale. Bien loin de là, c’est une petite clé qui traîne parmi les autres, avec un petit air de rien du tout, et en fin de compte Freud veut dire que le père n’était aucunement averti de quelque chose qui dut se rapporter à ce rapport essentiel qui fait que le complexe de castration est la cheville majeure par où passe l’instauration de sa constellation et la réso­lution de sa constellation, par où passe la phase ascendante ou descendante de l’œdipe.

Donc nous voyons que le petit Hans en effet réagit. Il réagit tout au cours de l’intervention du père réel, à savoir de mise en serre chaude de ces feux­ croisés de l’interrogation paternelle sous lesquels il se trouve pendant un certain temps, et qui à voir l’observation massivement, se montrent avoir été favorables à un véritable développement, à une véritable culture même chez Hans, de quelque chose qui ne nous permet pas de penser, vu sa richesse, ni que la phobie aurait eu ses prolongements et ses échos sans l’intervention paternelle, ni même non plus qu’elle aurait eu son centre même, ni ce développement, ni cette richesse, ni même peut-être cette instance si prévenante pendant un certain temps. Ceci est admis par Freud, et je dirais même repris par lui à son compte, je veux dire qu’il admet même qu’il y a pu avoir momentanément une espèce de flambée, de précipitation, d’accélération, d’intensification même de la phobie sous l’action du père.

Tout ceci ne sont que des vérités premières, encore faut-il les dire. Repre­nons les choses au point où nous en sommes, et pour tout de même ne pas vous laisser tout à fait devant la cohue, je vais vous indiquer quel est en quelque sorte le schéma général autour duquel je pense, va s’ordonner d’une façon satisfaisante pour nous ce que nous allons essayer de comprendre dans le phénomène de l’analyse de Hans, son départ et ses résultats».

Voilà c’est là dans cette séance que Lacan nous indiquera la manière de prendre les choses. Mais je les laisse pour l’instant en suspens pour un retour au texte de Freud avec ce que Lacan appelle les « petits mythes du Petit-Hans »

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