Quand sont encore adorées les vieilles idoles

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J’ai retrouvé dans un numéro de l’Evolution psychiatrique de 1938 un article de Jean Picard qui a été brièvement commenté par Lacan et qui nous donne une vue saisissante de ce que peut être un enfermement dans l’empire maternel. Le titre est en lui-même un vrai fourre-tout à la fois clinique et théorique mais il révèle bien ce qui était les intentions de l’auteur celui d’échapper à tout dogmatisme. Il a donc pour nom :  » Mécanismes névrotiques dans les psychoses : Oedipe, homosexualité, théâtralisme hystérique et perversité « . De fait ces observations ont entre elles, malgré les apparences, une très grand unité : elles sont toutes placées sous le signe de la mère et correspondent toutes à ce qu’on pourrait appeler des formes graves d’hystérie. Paradoxalement, sur ces six observations, cinq sont des observations d’hommes. Celle qui ma paru la plus exemplaire est celle d’une femme. Elle est orpheline de père et de mère depuis l’âge de sept ans. Elevée en orphelinat elle a été ensuite placée comme domestique chez une veuve sans doute en mal d’affection. Sa patronne  » se montre de plus en plus maternelle et enveloppante recréant chez la jeune femme moralement esseulée une ambiance de tendresse maternelle « . En bref elle se retrouve dans son lit. Mais ces liens homosexuels faisant scandale, celle qu’elle appelle  » sa petite mère « , lui propose  » pour faire la preuve de leur pureté réciproque d’avoir des relations avec un homme et de devenir enceinte pour détourner les soupçons par une sorte de maternité-écran… Elle se livra au premier venu, refusant même de connaître le nom de celui qui serait le père de son enfant « . Thérèse, c’est le nom qui lui est donné, fit plusieurs tentatives de suicide ce qui la fit interner.
Au cours de son hospitalisation, elle fit un transfert platonique sur son médecin, affirmant qu’elle pensait à lui non comme à un homme mais comme à une mère aimante. Elle lui disait  » J’ai peur que vous croyez que je vous aime comme l’on aime un homme, non, je vous aime comme une maman de vraie. Je vous aime plus que j’aimais mon père que je n’aimais pas, vu que j’étais d’une faute de ma pauvre mère. Maintenant je veux un autre petit Claude ( son enfant est mort à l’âge de six mois). Vous savez bien que je n’aime pas les hommes, alors je ne veux pas me marier, mais je veux un Claude, je veux avoir un autre bébé « .
Avec ce bébé, avec cet enfant-phallus, ce à quoi elle aspirait c’était à retourner vivre auprès de  » sa petite mère « .

A la suite de cet article, c’est pour cette raison que je l’ai recherché, Lacan avait fait une très courte intervention qui est exactement dans le fil de notre propos. Il y soulignait que certes l’Œdipe était pour nous notre Sinaï mais qu’il existait au pied de ce Mont Sinaï, d’anciennes idoles qui y étaient encore adorées. C’est donc là qu’il évoque ces grandes déesses mères, ces mères archaïques, dont certains sujets continuent à célébrer les cultes.
 » … rien ne nous interdit de voir dans la vie œdipienne un aspect seulement du possible. Il y a peut-être derrière lui encore autre chose de plus archaïque. Peut-être le  » complexe de la mère « . Si les noms mythologiques nous font défaut ici pour le caractériser, c’est peut-être parce que cette mythologie est celle d’une civilisation patriarcale. Peut-être est-ce l’image terrible de l’Ogresse, de quelque Baal ou Moloch maternel que l’on rencontrerait au fond des légendes matriarcales… Dans les observations que M. Picard vient de nous présenter, la mère paraît jouer un rôle fondamental (dans les sept premières qui sont placées sous le signe de la mère).  »
C’est à ces anciens cultes que nous pouvons nous référer pour aborder cette question des nouvelles pathologies. Cette remarque de Lacan sur les cultes de ces grandes déesses-mères m’ont fait penser de plus penser à ce qu’en évoque Freud dans un minuscule petit texte d’à peine deux pages, presque oublié et qui a un si joli titre  » Grande est la Diane des Ephésiens ! « .

Liliane Fainsilber

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