Un rêve de Freud, le rêve dit du W.C. de campagne

Liliane Fainsilber
C’est l’un de mes rêves préférés.  Freud le raconte et l’interprète dans son livre l’Interprétation des rêves. On peut tout d’abord y mesurer le courage qu’il lui a fallu pour transgresser ainsi tous les tabous de la société viennoise de son époque, tabous, non seulement sexuels mais excrémentiels, et ce, en y décrivant ses propres rêves. Mais on y mesure également son humour et sa fantaisie : « Hercule, c’est moi !  » dit-il.

 

« Une colline ; sur celle-ci quelque chose comme des W.C. en plein air, un banc très long, avec au bout un grand trou. Le bord de ce trou entièrement couvert de petits tas d’ordures, plus ou moins grands, plus ou moins frais. Derrière le banc un buisson. J’urine sur le banc ; un long filet nettoie tout, les ordures se détachent facilement et tombent dans le trou. A la fin c’est comme s’il restait encore quelque chose. »[1]

 

Pourquoi n’ai-je pas éprouvé de dégoût pendant ce rêve ? C’est que comme l’analyse le montrera, les pensées les plus agréables et les plus satisfaisantes y ont concouru. A l’analyse je songe tout de suite aux écuries d’Augias que nettoie Hercule. Cet Hercule c’est moi. La colline et le buisson se trouvent à Aussee, où mes enfants séjournent actuellement. J’ai découvert l’étiologie infantile des névroses et ainsi j’ai préservé de la maladie mes propres enfants. Le banc est (sauf le trou, naturellement) la fidèle imitation d’un meuble dont une malade reconnaissante m’a fait cadeau. Il me fait penser à la considération dont je jouis auprès de mes malades. Même le musée d’excréments humains est susceptible d’une explication réconfortante. Il me rappelle en effet l’Italie où, dans les petites villes, les W.C. ont cet aspect. Le filet d’urine qui nettoie tout est, sans nul doute de la mégalomanie. C’est ainsi que Gulliver, chez les Lilliputiens, éteint un grand incendie et que Gargantua, du haut des tours de Notre Dame, se venge des parisiens. J’avais justement feuilleté la veille, avant d’aller me coucher, l’édition de Rabelais illustrée par Garnier. Et, chose remarquable, voilà encore la preuve que l’homme puissant, le surhomme, c’est moi : la plate-forme de Notre Dame était l’endroit que j’aimais entre tous quand j’étais à Paris. J’avais l’habitude d’y passer tous mes après-midi libres entre les mascarons et les gargouilles. Le fait que toutes les ordures sont enlevées si vite est une allusion à cette épigraphe : Afflavit et dissipati sunt, qu’un jour je mettrai en tête de mon chapitre sur la thérapeutique de l’Hystérie.

 

Voici maintenant l’événement qui a produit le rêve. C’avait été une  après-midi d’été très chaude. Le soir j’avais fait mon cours sur les rapports de l’hystérie et des perversions. Tout ce que j’avais dit m’avait déplu profondément et m’avait paru sans valeur. J’étais fatigué et ne trouvais pas le moindre plaisir à mon rude travail. J’en avais assez de me vautrer ainsi dans toutes les saletés humaines et j’aurais voulu être près de mes enfants, ou encore voir les beautés de l’Italie. Dans cet état d’esprit je quittai l’amphithéâtre et allait dans un café pour y prendre un sandwich en plein air, car je n’avais plus envie de dîner. Mais l’un de mes auditeurs m’accompagna. Il demanda la permission de s’asseoir à côté de moi pendant que je buvais mon café et m’étouffais avec mon croissant, et il se mit à me flagorner […] Cet hymne de louanges allait mal avec mon humeur du moment… »

 

Freud reprend une deuxième fois cette citation latine qu’il comptait mettre en exergue pour ses études sur l’hystérie. Il l’indique à propos d’un autre de ses rêves celui qui a pour titre « Rêve du Conte de Thun ». Cette citation avait été  inscrite sur une médaille célébrant la victoire de l’Armada espagnole sur la flotte anglaise, flotte anglaise qui fut entièrement détruite. Dans une note, à propos de ce rêve Freud indique qu’un « biographe non sollicité, le docteur Wittels » lui avait reproché d’avoir tronqué cette citation. En effet tel que Freud la cite, il manque à cette phrase le sujet du verbe, celui qui, par ses vents, les vents du père, avait dispersé toute la flotte anglaise, ce sujet était Dieu lui-même. Freud aurait-il hésité à se mettre à cette place ? Mais ce faisant,  non seulement il avait élidé le nom de Dieu,   mais il l’avait aussi remplacé par l’un des objets a les plus évanescents qui soient, les vents du père[2].  N’est-ce pas ce qui devrait attendu de toute analyse, cette réduction de l’Etre suprême à la fonction, combien plus modeste,  de l’objet petit a ?



[1] S. Freud, L’interprétation des rêves, PUF, p.399.

[2] – Dans les associations de ce rêve, il y est question d’un concours de pets dans un roman de Zola, Germinal. p. 189 de L’interprétation des rêves.

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