Le célèbre rêve de la belle bouchère

 

 

Le moment est venu de travailler le rêve de la belle bouchère. A vrai dire, comme je l’ai déjà beaucoup travaillé au fil de toutes ces années, j’avais peur d’en être un peu lassée à l’avance, mais avec Freud, les lectures sont toujours nouvelles, j’avais grand tort de le penser. Je l’ai lu et retravaillé avec un très grand plaisir

Ce rêve dit de la Belle Bouchère, figure avec quelques autres, dont le rêve de l’oncle Joseph, dans le chapitre IV de l’Interprétation du rêve, ayant pour titre, « La défiguration du rêve ».

Il entre donc dans la démonstration de Freud énonçant le fait que tous les rêves, une fois interprétés, sont des réalisations de désir bien que leurs contenus manifestes semblent démontrer le contraire.

En guise d’introduction de ces rêves que l’on peut dire contestataires par rapport à sa théorie, Freud écrit «  Quand je prends en analyse un psychonévrosé, ses rêves on l’a dit, deviennent régulièrement l’objet de nos discussions. Je dois alors lui délivrer toutes les explications psychologiques à l’aide desquelles je suis moi-même arrivé à comprendre ses symptômes et je fais alors l’objet d’une critique impitoyable, comme je n’en attendrai pas de plus acerbe dans la bouche des confrères de la spécialité. »

C’est donc ainsi qu’est introduit le rêve de la belle bouchère :

« je veux donner un souper, mais je n’ai pas autre chose en réserve qu’un peu de saumon fumé. Je pense à aller faire des courses, mais je me souviens que c’est dimanche après-midi, et que tous les magasins sont fermés. Je veux alors téléphoner à quelques traiteurs, mais le téléphone est en dérangement. Je dois donc renoncer au désir de donner un souper ».

Pour commencer à analyser ce rêve, Freud cette fois-ci nous rappelle, non pas la nécessaire fragmentation du texte du rêve en ses parties, comme il l’avait fait pour le rêve de l’injection faite à Irma, mais le fait que « le facteur qui déclenche le rêve se trouve chaque fois dans ce qui a été vécu pendant la journée écoulée ».

Le facteur déclenchant de ce rêve est donc pour notre belle bouchère, le désir exprimé par son mari de commencer un régime et de refuser pour cela toute invitation à dîner. A partir de ce premier désir ainsi exprimé, nous pouvons repérer dans ce texte ce qu’on pourrait appeler des désirs en cascades, celui du peintre qui voulait faire le portrait du boucher, l’apparition de son amie à laquelle son mari porte un certain intérêt. La dite amie souhaite, par ailleurs, se faire inviter par la bouchère, elle qui cuisine si bien. Freud poursuit cette énumération avec un échange de désirs, entre la bouchère et son amie, l’une souhaitant se priver de saumon et l’autre, de caviar au titre de désirs insatisfaits. Dans le texte on peut repérer tous ces vœux, avec la répétition du verbe vouloir.

L’analyse de ce rêve m’était un peu trop familière mais pourtant il y avait une phrase qui jusqu’à ce jour m’avait échappé, le fait qu’elle déclare dans les associations de son rêve qu’«elle est maintenant très amoureuse de son mari ». Qu’en était-il avant et avant quoi ? Ce « maintenant » est-il justement lié à la présence de l’amie, celle qui devient ainsi un tiers rival, dans son amour pour lui ? Elle ne nous dit pas tout quand elle explique que c’est pour pouvoir continuer à le taquiner qu’elle se refuse un petit pain au caviar tous les matins pour son petit déjeuner. Freud, à propos, de ce qu’elle en dit, remarque qu’elle a besoin d’avoir dans sa vie un désir insatisfait.

Comment Freud  interprète-t-il ce rêve ? On peut repérer dans ce que nous en dit, au moins trois niveaux d’interprétation.

Le premier concerne ce qu’il en est des liens de l’analysante avec Freud lui-même. Elle conteste le fait que le rêve soit toujours une réalisation de désir et elle croit par son rêve en apporter la preuve. Je pense qu’il nous faut pas oublier ce premier niveau d’interprétation, parce qu’il contient peut-être là le secret de ce pourquoi, en référence bien sûr au désir parental, elle a besoin d’avoir, sous la forme du caviar, ce désir non satisfait.

Le second niveau de l’interprétation du rêve concerne les liens de son amie avec son mari. Elle ne souhaite nullement l’inviter à souper, elle, qui est un peu trop maigre, de peur qu’en lui donnant une trop bonne nourriture, elle ait encore de plus belles formes et que son mari la trouve encore plus séduisante.

Le troisième niveau d’interprétation est plus difficile à saisir, il concerne ce qu’il en est de l’identification hystérique, que l’on peut qualifier à la suite de Lacan, d’identification au désir de l’Autre. Freud utilise pour décrire cette identification le terme  » se mettre à la place de ». Son amie se met à sa place, par rapport à son mari, du coup la bouchère se met à sa place, par son désir insatisfait, parce qu’elle voudrait être à sa place dans l’intérêt que lui porte son mari. on pourrait même complexifier encore un peu plus les choses, en supposant, comme pour le cas de Dora, que l’objet premier de son intérêt est justement son amie, et que dans ce cas, c’est à la place de son mari qu’elle se met, pour poser sa question d’hystérique, que Lacan a définie ainsi  » comment une femme peut-elle être aimée ? »

Quoiqu’il en soit, Freud repère en effet que c’est, identifiée à son amie, qu’elle a besoin, elle aussi d’avoir un désir insatisfait dans la vie. Pour elle, c’est le caviar, pour son amie, c’est le saumon. Quelle est la fonction d’un tel désir ? A l’époque, le saumon aussi bien que le caviar étaient des produits de luxe, ils devaient être hors de prix. Est-ce que leur degré de préciosité pouvait leur permettre de s’élever au digne rang d’objets phalliques ? J’aime bien en effet cette remarque de Lacan que « l’imaginaire est toujours une intuition de ce qui est à symboliser ». N’était-ce pas ce que tentaient de réaliser nos sympathiques hystériques du temps passé ?

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