Une approche de la « traversée du fantasme fondamental » et de son au-delà, celui de la pulsion

 

Dans ces trois pages de l’interprétation du rêve( p.230 à 233) se trouvent donc trois souvenirs-écrans de Freud qui alimentent au sens propre et au sens figuré pour l’un d’eux, le contenu manifeste de ces rêves.

Nous avons donc le souvenir-écran de la confusion des deux mots, « reissen » et « reisen », puis de celui qui provoqué le rêve de la monographie botanique. Par rapport à la première analyse de ce rêve, on peut se demander ce que, dans ce passage, Freud apporte de nouveau, à part ce lien indéfectible qu’il établit entre le rêve et le souvenir-écran qui témoigne de son origine infantile, celui où son père leur avait confié un livre à déchirer feuilles à feuilles, comme on effeuille un artichaut. Il me semble que c’est peut-être la certitude qu’il a de sa réalité en prenant appui justement sur la longue chaîne métonymique qu’il cite «  Cyclamen-fleur préférée- plat préféré-artichaut-retirer les feuilles comme pour un artichaut, une à une – herbier – ver bibliophage dont les plats préférés sont des livres. »

Freud ne dit pas tout du secret dernier de ce rêve et de ce souvenir écran qui le contient mais il nous dit : «  … je puis assurer que le sens ultime du rêve, que je n’ai pas développé ici, est en très intime relation avec le contenu de la scène infantile ».

Nous retrouvons donc ici des signifiants de la pulsion orale et à ce propos je me suis posée la question de savoir si de ces souvenirs-écrans ne pouvaient pas mettre mis en relation avec ce que Lacan avait décrit comme étant « la traversée du fantasme fondamental » et ainsi la mise à nu de son au-delà, celui de la pulsion. J’aime bien relire les textes de Lacan avec l’aide de Freud. Cette traversée du fantasme fondamental qui est posée comme marquant le terme d’une analyse et éventuellement le passage du psychanalysant au psychanalyste, a toujours suscité l’intérêt des analystes et pourtant j’ai eu beaucoup de mal à retrouver les traces de son énonciation. De fait elle semble bien être unique et se trouve dans le séminaire de Concepts fondamentaux de la psychanalyse ( séminaire XI). C’est la toute dernière séance.

Je cite ce passage avant de préciser en quoi cette question des souvenirs-écrans à la source des rêves m’a fait penser à les rapprocher de cette fameuse traversée. A ce propos, quand on passe au travers, cela signifie souvent qu’on l’a échappé belle.

« C’est au-delà de cette fonction du a que la courbe se referme, se refer­me là où elle n’est jamais dite, concernant l’issue de l’analyse, à savoir, après ce repérage du sujet par rapport au a, cette expérience du fantasme fondamental devient la pulsion, car au-delà, c’est la pulsion qui est en cause.  Qu’est-ce que devient celui qui a passé par cette expérience concer­nant ce rapport opaque à l’origine par excellence à la pulsion, comment peut être vécue par un sujet qui a traversé le fantasme radical, comment, dès lors, est vécue la pulsion? Ceci est l’au-delà de l’analyse et n’a jamais été abordé. Elle n’est jusqu’à présent abordable qu’au niveau de l’ana­lyste, pour autant qu’il serait exigé de l’analyste d’avoir précisément tra­versé dans sa totalité le cycle de l’expérience analytique. »

Ce cycle de l’expérience analytique il semble qu’il puisse être effectué en petit, en miniature, à propos de chaque souvenir-écran source de chaque rêve. En effet à  partir de ce souvenir-écran où s’exprime le fantasme, celui de déchirer un livre, de le mettre en pièces et ce qui plus est avec l’autorisation du père, on y retrouve les signifiants de la pulsion en l’occurrence ceux de la dévoration.

Sur le graphe du désir, j’ai essayé de tracer ce cycle. Je pense qu’on peut partir du Signifiant de A barré, en tant qu’on peut le lire comme marquant ce qu’il en est de la castration de l’Autre. Tout en dessous, on y retrouve la formule du fantasme, le sujet barré face à l’objet a puis comme formation de l’inconscient, Le souvenir-écran formulé au niveau du message. Enfin son interprétation, qui livre en effet les signifiants pulsionnels au moyen duquel il avait exprimé son désir.

 

A partir de cette fameuse traversée du fantasme qui a tellement sollicité les analystes depuis, Lacan parle de la façon dont la « pulsion est vécue ».  Or quand on parle de vivre un drame, vivre une passion, vivre un grand amour, on souffre, on aime, c’est le corps qui est affecté.  Donc qu’est-ce qui pourrait être différent dans la façon dont est vécue la pulsion après cette traversée du fantasme fondamental, et parvenu au terme de l’analyse ? Rien,  à part peut-être le fait de pouvoir  mettre en mots ce dont on continue et heureusement à être affecté, ce qui nous tracasse, nous agite, et éventuellement nous rend heureux, dont de pouvoir retrouver les signifiants de cette dite pulsion.

Au niveau de la pulsion, on abandonne toute civilité, ce sont les mauvais sentiments qui y règnent en maître.  En les découvrant, on se doit de supporter les affects qui les accompagnent, voire de les dominer.   Je pense en effet à ce dicton énoncé par Reik, d’une formule heureuse :  » tous les jours un meurtre en pensée et bonne santé vous garderez ».

Quant à la question de la sublimation, c’est certes au niveau des signifiants qu’elle se produit.   Mais il me semble que l’affect qui y est associé intervient aussi, puisque dans le cas de la sublimation, il y a satisfaction de la pulsion mais sans refoulement.  Or c’est bien en raison de l’affect, de l’angoisse, que l’on refoule. A propos de cette sublimation, dans le rêve de la monographie botanique, dans la chaîne métonymique des associations, c’est le ver bibliophage qui effectue la transition vers la sublimation, par la métaphore  » un rat de bibliothèque ».

 

 

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