A jamais entre O et O’

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Dora et Madame K.

 

 

 

 

 

 

Lacan précise bien que ce n’est que dans une référence au symbolique que le fonctionnement du schéma optique peut être assuré et pour le présentifier au cœur même du schéma, il pose le fait que le fonctionnement du miroir plan, son inclinaison plus ou moins grande, est commandée par la voix de l’autre. D’ailleurs il nomme ce miroir plan qui répartit de part et d’autre de l’espace le moi et le petit autre, grand A. Mais avec cette voix de l’Autre ne peut être qu’introduit par ce qu’il trahit de façon énigmatique dans sa parole, ce qu’il en est de son désir.

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Pour décrire ce qui se passe entre Dora et Madame K. mais aussi entre Dora et Freud, il simplifie le schéma. A la place du moi et du petit autre qui se situe de part et d’autre du miroir, il inscrit ces deux points O et O’.
Entre o et o’ se passent deux mécanismes que Lacan nomme de deux termes, au reste emprunté à Freud,  » projection  » et  » introjection « . La projection va de O à O’, donc du moi au petit autre, tandis que l’introjection va dans le sens contraire de O’ à O, du petit autre au moi.

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Introjection
La vision de cette image de l’autre auquel se réfère le sujet, d’une part lui ouvre le champ infini des objets du désir mais lui permet aussi de constituer son moi avec l’aide de tous ces investissements d’objets abandonnés de gré ou de force. Lacan définit ainsi l’introjection :  » vous savez qu’au moment du déclin du complexe d’Œdipe, il se produit ce que nous appellons introjection. Je vous supplie de ne pas donner à ce terme une signification trop définie. Disons qu’on l’emploie lorsqu’il se produit comme un renversement, ce qui était au dehors devient le dedans, ce qui était le père, devient le surmoi. Il s’est passé quelque chose au niveau de ce sujet invisible…  »
L’introjection se produit dans le sens o’ o donc dans le sens du petit autre au moi, de l’extérieur à l’intérieur mais aussi bien du petit autre au sujet puisque cette introjection est d’ordre symbolique et qu’elle a pour résultat une identification, cette identification à un petit trait de l’objet aimé ou détesté, cette identification au père ou à la mère.

La projection
La projection part de O pour aller vers O’, de l’intérieur vers l’extérieur. Elle est du registre de l’imaginaire et rend compte d’une part de l’image que saisit le sujet de son propre corps, ce que Lacan appelle l’Urbild du moi, la matrice de son moi qu’il voit dans le miroir, mais aussi, en un second temps logique, de la relation à l’objet d’amour.  » C’est dans un mouvement de bascule, d’échange avec l’autre que l’homme s’apprend comme corps, comme forme vide du corps. De même tout ce qui est alors en lui à l’état de pur désir, désir inconstitué, originaire, c’est inversé dans l’autre qu’il apprendra à la reconnaître. … avant que le désir n’apprenne à se reconnaître – disons le mot – par le symbole, il n’est vu que dans l’autre.
A l’origine, avant le langage, le désir n’existe que sur le seul plan de la relation imaginaire du stade spéculaire, projeté, aliéné dans l’autre. La tension qu’il provoque est alors dépourvue d’issue. C’est à dire qu’elle n’a pas d’autre issue – Hegel nous l’apprend que la destruction de l’autre. Le désir du sujet ne peut dans cette relation de confirmer que d’une concurrence, d’une rivalité absolue avec l’autre, quant à l’objet vers lequel il tend. Et chaque fois que nous approchons, chez un sujet de cette aliénation primordiale, s’engendre l’agressivité la plus radicale. Le désir de la disparition de l’autre en tant qu’il supporte le désir du sujet. Nous rejoignons là ce que le simple psychologue peut observer du comportement des sujets. Saint Augustin par exemple signale, dans une phrase que j’ai souvent répétée, cette jalousie ravageante, déchaînée, que le petit enfant éprouve pour son semblable, et principalement lorsque celui-ci est appendu au sein de sa mère, c’est à dire à l’objet du désir qui est pour lui essentiel « .

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Moi idéal et Idéal du moi

Il me semble que c’est justement pas rapport à cette scène princeps que Lacan évoque souvent que nous pouvons effectuer la jonction entre ce qui est la fonction du moi idéal et de l’idéal du moi avec ce que Lacan appelle le désir de l’Autre, celui de la mère en cette occasion, qui est celle qui joue le rôle de référence symbolique, d’idéal du moi, et ce petit autre, l’objet rival, le petit frère de lait qui devient, lui, à ce moment là, le moi idéal. Je pose donc cette équivalence celui ou celle qui occupe le poste d’idéal du moi est celui qui oriente ce qui deviendra le désir du sujet en tant que désir de l’Autre. Par contre l’objet rival est celui qui devient pas rapport à ce désir de l’Autre, son moi idéal.

Dans l’analyse de Dora

Quand Freud analyse Dora, il me semble qu’elle est encore prisonnière du désir de sa mère et également, par transfert, du désir de Madame K. Quand sa mère était son idéal du moi, son frère jumeau auquel elle est identifiée est son moi idéal. Quand c’est Madame K. qui était son Idéal du moi, c’était son père qui était son moi idéal, son père dont elle supportait le désir, son père impuissant qui se faisait phallus, objet du désir de cette femme. Mais en même temps, Freud nous indiquait que Dora était identifiée à un petit trait de son ancien objet d’amour ou de haine, on ne sait, donc à son père : Elle toussait comme son père.
Il faut donc tenir compte de ces trois approches qui peuvent paraître contradictoires mais que de fait ne le sont pas, car Dora est dans une période d’oscillation, comme le souligne Lacan, elle ne sait pas si elle aime Madame K, en tant qu’image idéalisée d’elle-même, ou si elle désire Madame K.

Donc nous avons trois ordres de possibilités
– Sa mère est son Idéal du moi, son frère son moi idéal, en tant qu’objet désiré par sa mère.
– Madame K. est son Idéal du moi et son père est son moi idéal en tant que son objet rival dans le désir de Madame K.
– Mais en même temps quand son père est son idéal du moi, c’est Madame K en tant qu’objet du désir du père qui aurait pu devenir son moi idéal.

L’idéal du moi et le désir de L’Autre
Voici une phrase de Lacan que m’autorise à effectuer ce rapprochement. Elle se trouve dans les Ecrits, dans subversion du sujet et dialectique du désir : A propos de l’Autre défini comme lieu de la parole et surtout comme garant de la vérité, une vérité plus que fragile puisqu’elle ne peut avoir qu’une structure de fiction, il définit ainsi l’Idéal du moi :  » Le dit premier décrète, légifère, aphorise, est oracle, il confère à l’autre réel son obscure autorité. Prenez seulement un signifiant pour insigne de cette toute-puissance, ce qui veut dire de ce pouvoir tout en puissance, de cette naissance de la possibilité, et vous avez le trait unaire qui de combler la marque invisible que le sujet tient du signifiant, aliène le sujet dans l’identification première qui forme l’Idéal du moi ».

Dora et Madame K. entre O et O’
Ces points étant posés je reprends donc ce que nous dit Lacan de la façon dont Freud a loupé le coche dans l’analyse de Dora, en ne repérant pas quelle était la position de Dora entre O et O’.  » Si Freud était intervenu en permettant au sujet de nommer son désir – car il n’était pas nécessaire qu’il le nomme lui-même – il se serait produit en O’, l’état de Verleibheit. Mais il ne faut pas omettre que le sujet aurait aurait très bien su que c’était Freud qui lui avait donné cet objet de la verliebheit. Ce n’est pas là que se termine le processus. Lorsque cette bascule s’est faite, par quoi le sujet en même temps que sa parole réintègre la parole de l’analyste, une reconnaissance lui est permise de la reconnaissance de son désir… et c’est dans la mesure où il reconquiert son Idéal-Ich, donc son moi-Idéal, que Freud aurait pu prendre la place de Son Ich-Idéal, son Idéal du moi « .
Voici comment j’interpréte cette phrase : C’est Là que Freud aurait pu mettre fin à cette oscillation par son interprétation mais dans ce même temps, en réoccupant la place de cet Autre symbolique, qu’il a soutenu de son désir, désir de l’analyste, il a ainsi réoccupé la place du père, un père potent, sur le plan symbolique, puisque capable d’effectuer cette castration symbolique, celle qui consiste à séparer le désir du sujet du désir de l’Autre, à le libérer de cette aliénation par le simple pouvoir de sa parole.
C’est ainsi que j’entends aussi ce que Lacan disait dans son autre texte Intervention sur le transfert, que Dora, de par l’interprétation de Freud, aurait pu avoir accès à l’objet viril, cet accès lui ayant été permis par un effet de « prestige  » qu’aurait provoqué son interprétation. Freud serait donc devenu pour elle son Idéal du moi et elle -tout au moins fictivement, juste avant que ne soit posé l’interdit, aurait accepté d’être l’objet de son désir, l’objet du désir d’un homme.
Nous sommes, avec cette approche fictive, dans le romanesque mais pourquoi pas si comme nous l’indique Lacan la vérité a une structure de
fiction ?

 

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