« La psychanalyse sous le chef de la politique »

Une lecture de Lituraterre

Lacan a effectué un retournement dans son approche des malaises de la civilisation tels qu’ils sont abordés par Freud. J’essaie un peu de développer : Pour expliciter les malaises de la civilisation Freud part de la psychanalyse. Le politique est donc abordé par lui à partir des données de la psychanalyse. C’est en effet au moment où il écrit son Au-delà du principe de plaisir et dégage le concept de la pulsion de mort, qu’il étend ainsi, dans un même mouvement, les données de la psychanalyse à la psychologie des foules.

J’ai un peu repris ce passage où, dès les premières phrases de son texte « Psychologie des masses », Freud procède en quelque sorte par déduction passant de la psychologie individuelle à la psychologie sociale. Il justifie cette déduction par le fait que le sujet ne se constitue lui-même que par rapport à tous les autres êtres humains qui l’entourent et avant tout les membres de sa famille : « L’opposition entre la psychologie individuelle et la psychologie sociale, ou psychologie des foules, qui peut bien à première vue nous paraître très importante, perd beaucoup de son acuité si on l’examine à fond. » Après cet examen, ce qui est surprenant c’est quand même le fait que dans les lignes qui suivent Freud inclut la psychologie sociale dans la psychologie individuelle : « Les rapports de l’individu à ses parents et à ses frères et sœurs, à son objet d’amour… peuvent revendiquer d’être considérés comme des phénomènes sociaux et s’opposent alors à certains autres processus que nous nommons narcissiques […] L’opposition entre les actes psychiques sociaux et narcissiques… se situe donc exactement à l’intérieur même de la psychologie individuelle et n’est pas de nature à séparer celle-ci d’une psychologie sociale ou psychologie des foules ».

De cette première approche on peut donc en déduire que Freud fait quand même entrer la psychologie sociale dans le cadre de la psychologie individuelle et par déduction on constate que la politique entre dans le champ de la psychanalyse.

Par contre, si on repart du texte de Lacan, tel que celui de « Lituraterre », on s’aperçoit que ce dernier, inversant cette approche, met la psychanalyse « sous le chef de la politique ». Comme il est difficile de l’articuler je reprends un peu ce passage pas à pas : Il me semble que pour effectuer ce renversement, faire entrer la psychanalyse dans le cadre de la politique, il prend appui sur l’écriture, sans doute plus précisément sur l’écriture de ses quatre discours et en posant quand même comme impossible le fait qu’il puisse y avoir un discours qui ne serait pas du semblant.

Si Lacan peut mettre en somme la psychanalyse sous l’égide du politique c’est au nom de sa logique du signifiant dans laquelle un signifiant représente un sujet pour un autre signifiant, Le sujet n’est que représenté par ce signifiant sous lequel il disparaît et surtout, entre ces deux signifiants, quelque chose est radicalement raté, c’est cet objet toujours à retrouver. Ce qu’il y a de commun entre la politique et la psychanalyse, c’est le fait que le sujet soit l’effet du discours et que l’objet du désir, en tant qu’objet a, coure sous ce discours et le fasse même courir (le plus Un de l’axiomatique de Péano).

Pour expliciter ce fait j’ai essayé de déchiffrer la phrase qui suit mais comme elle est extrêmement difficile, c’est un vrai rébus, je l’ai découpée en morceaux : « Il ne faudrait quand même pas l’oublier, notre science n’est opérante que d’un ruissellement de petites lettres et de graphiques combinés […] Que le symptôme soit de l’ordre dont s’avère notre politique, c’est là le pas qu’elle a franchi. Il implique d’autre part (le symptôme, je pense) que tout ce qui s’articule de cet ordre soit passible d’interprétation. C’est pourquoi on a bien raison de mettre la psychanalyse au chef de la politique ».

Voilà comment j’interprète cette partie : Si nous repartons de ce qui constitue justement « l’envers de la psychanalyse » soit le discours du Maître ou encore l’une de ses formes, le discours dit capitaliste, on s’aperçoit en effet qu’on peut définir le symptôme, comme un effet métaphorique de la substitution du signifiant S1 par un autre signifiant S2. Comment inscrire alors dans ce discours du maître, ce symptôme ? Je propose de l’inscrire au niveau de la plus-value ou du plus de jouir, sous la forme de l’objet a, puisque c’est cet objet cause du désir qui fait symptôme.

En mettant ensemble ces deux discours, discours du maître et discours analytique, on s’aperçoit alors que le discours analytique sert en quelque sorte d’interprétation à ce discours du maître, en mettant en avant, en mettant en position dominante, ce qui était la production de son symptôme sous la forme de l’objet petit a. Je mets l’un à côté de l’autre ces deux discours pour montrer à quel point ils sont l’envers l’un de l’autre et que l’interprétation est ce en quoi le discours analytique se trouve en somme mis au service du discours du maître puisque c’est lui qui fait interprétation du symptôme.

Si on refait maintenant un retour au texte freudien, en tenant compte de l’approche de Lacan, on s’aperçoit que Freud, dans sa psychologie des foules, avait déjà lui aussi opéré ce renversement et lui aussi avec l’aide d’une écriture, à savoir les lettres qu’il avait inscrites sur son schéma des trois sortes d’identifications (Identification à l’objet extérieur, au leader, à celle entre tous les moi des membres d’une foule ou entre leurs idéaux du moi).

identification-schéma

En effet, avec l’aide de ce schéma, Freud décrit l’état amoureux et l’hypnose, comme une foule à deux. La psychanalyse elle aussi s’exerce dans la dimension d’une foule à deux, celle de l’analysant et de l’analyste. La psychanalyse est donc incluse dans la politique en tant qu’elle rend compte des effets de foule.

Ainsi se justifie, dans l’après-coup, la phrase de Lacan qui met la psychanalyse sous le chef du politique.

Je reprends cette phrase de Lacan et je la complète : « Il ne faudrait quand même pas l’oublier. Notre science n’est opérante que d’un ruissellement de petites lettres et de gra¬phiques combinés […] Que le symptôme institue l’ordre dont s’avère notre politique, c’est là le pas qu’elle a franchi, elle implique d’autre part que tout ce qui s’articule de cet ordre soit passible d’interprétation. C’est pourquoi on a bien raison de mettre la psycha¬nalyse au chef de la politique. Et ceci pourrait n’être pas de tout repos, pour ce qui de la politique a fait figure jusqu’ici, si la psychanalyse s’avérait plus avertie. Il suffirait peut-être, pour mettre notre espoir ailleurs, ce que font mes litté¬rateurs, si je peux les faire mes compagnons, il suffirait que de l’écriture, nous tirions un autre parti que de tribune ou tribunal pour que s’y jouent d’autres paroles à nous en faire nous-mêmes, à nous en faire le tribut. Je l’ai dit, et je ne l’oublie jamais: il n’y a pas de métalangage. Toute logique est faussée de prendre départ du langage-objet, comme immanquablement elle le fait jusqu’à ce jour. Il n’y a donc pas de métalangage, mais l’écrit qui se fabrique du langage pourrait, peut-être, être matériel de force à ce que s’y changent nos propos. Je ne vois pas d’autre espoir pour ceux qui actuellement écrivent. Est-il possible en somme du littoral de constituer tel discours qui se caracté¬rise, comme j’en pose la question cette année, de ne pas s’émettre du semblant? »

Pour pouvoir mettre en évidence comment grâce à l’écriture et notamment avec les quatre discours, Lacan met la psychanalyse au chef de la politique, comme étant celle qui assure son interprétation, j’ai tronqué et mis entre crochets toute une partie de ce texte qui est tout aussi incompréhensible que le contenu manifeste d’un rêve. Elle se présente en effet cette longue phrase comme un rébus. Je la reprends maintenant en la citant d’abord intégralement :

« Il n’y a de droite que d’écriture, comme d’arpentage que venu du ciel. Mais écriture comme arpentage sont artefacts à n’habiter que le langage. Comment l’oublierions-nous quand notre science n’est opérante que d’un ruissellement de petites lettres et de graphiques combinés ?

Sous le pont Mirabeau certes, comme sous celui dont une revue qui fut la mienne se fit enseigne, à l’emprunter ce pont-oreille à Horus Apollo, sous le pont Mirabeau, oui, coule la Seine primitive, et c’est une scène telle qu’y peut battre le V romain de l’heure cinq (cf. l’Homme aux loups). Mais aussi bien n’en jouit-on qu’à ce qu’y pleuve la parole d’interprétation.

Que le symptôme institue l’ordre dont s’avère notre politique, implique d’autre part que tout ce qui s’articule de cet ordre soit passible d’interprétation.

C’est pourquoi on a bien raison de mettre la psychanalyse au chef de la politique. Et ceci pourrait n’être pas de tout repos pour ce qui de la politique a fait figure jusqu’ici, si la psychanalyse s’en avérait avertie. »

Si nous fragmentons, comme pour l’interprétation d’un rêve, cette longue phrase nous avons donc en premier ce vers d’Apollinaire « sous le pont Mirabeau coule la Seine ». Viens alors une évocation de l’une de ses revues. Nous pouvons penser que c’est celle qui avait pour titre « La psychanalyse » car Scilicet n’avait pas encore été créé mais je n’ai pas pu reconstituer « le pont » dont il s’agirait qui faisait enseigne à cette revue. Ce « pont- oreille », en référence au « pont-verbal » de Freud, celui qui lui sert à interpréter les rêves, est mis en concordance avec Horus Appolo qui fait écho avec Apollinaire. Or cet Horus Appolo est de fait un auteur égyptien du IV siècle qui s’est intéressé aux hiéroglyphes et sans doute aussi au Dieu Horus.

Nous avons donc mis en exercice le pont de la Seine mis en relation avec la scène primitive et notamment celle de l’Homme aux loups, le pont de la dite Seine avec le pont verbal freudien et le pont-oreille de Lacan et c’est ce dernier qui nous introduit par l’intermédiaire de ce pont à l’équivoque signifiante « Seine » et « scène » qui ne peut se repérer que grâce à l’orthographe, donc à l’écriture.

Comment dès lors rendre compte de la présence de cette écriture de la scène primitive de l’Homme aux loups avec ce V qui inscrivait pour lui, au travers du battement des ailes d’un papillon, la trace de la scène primitive, la partie de jambes en l’air de ses parents ? Lacan nous l’indique, rien ne peut s’en inscrire que par l’analyse, l’analyse de sa phobie des papillons qui accompagnait sa phobie des loups. L’écriture n’apparaît donc que du fait de l’interprétation.

Lacan part du pont Mirabeau /pont verbal/ pont-oreille, passe ensuite d’Apollinaire/ Horus Apollo, aux hiéroglyphes et donc à l’écriture, aux deux orthographes de la Seine et la Scène, puis le Cinq en caractère romain, V, Cinq heures ( Ora) l’heure de la scène primitive de l’homme aux loups, le battement des ailes de papillon qui donne la clé de sa phobie des papillons ( Machaon) accompagnant sa phobie des loups ; Ainsi le V partant de la scène primitive nous ramène au symptôme. Mais j’ai un peu de mal à revenir à la politique si ce n’est par les parties de jambes en l’air par exemple de Berlusconi. Mais ce n’est pas une fin digne de ce propos. Il faudrait que je trouve mieux.

3 Comments

  1. Oui, il faudrait que  » tu trouves mieux « , car cela se termine en queue de poisson – ce qui n’est pas, à vrai dire, tellement étonnant, puisque j’ai vu il y a peu une émission qui montrait qu’il y a de beaux poissons dans la Seine-scène. Crois-tu que Berlusconi vienne pêcher à Paris des … ? Je t’embrasse Denise

    • Fainsilber Reply

      Tu as bien raison. Je vais terminer autrement que par cette pirouette !

  2. Fainsilber Reply

    Je vais terminer sur la fonction du héros, tel que Freud la décrit dans Totem et tabou. Cela est d’actualité avec ce qui se passe de si émouvant en Tunisie et en Egypte, où il y a des héros qui en ce moment risquent leur vie pour l’amour de leur pays.

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