Premier transfert : Freud revêt l’uniforme du Capitaine cruel

Nous commençons donc à lire la partie C/ du texte de Freud intitulé « La grande appréhension obsédante »(l’Homme aux rats, Les cinq psychanalyses). Freud commence par rapporter le récit de ses troubles que lui en avait fait Ernst, en lui donnant tout d’abord la parole. C’était un jour de grandes manœuvres, dans l’armée. Ernst y participait. Avant ces manœuvres il se sentait déjà très mal, il souffrait de beaucoup d’obsessions. Au cours de ces manœuvres, deux événements fortuits vont survenir qui vont jouer un rôle déterminant dans la création de son grand « délire obsessionnel », d’une part, la perte de ses lorgnons qu’il va recommander en urgence à Vienne et qui va donc alimenter ses hésitations et tergiversations, au sujet de celui qui a payé pour lui, au moment de la réception de son colis, Il s’agira donc du remboursement de sa dette, d’autre part, le récit fait pas un capitaine, dit « capitaine cruel », d’un supplice pratiqué en orient qui consistait à introduire de force dans l’anus du supplicié un rat affamé .

Il faut, à ce propos, se souvenir que son père avait lui aussi fait partie de l’armée, puisque c’est là qu’il y avait fait des dettes de jeu, dettes qu’il n’avait jamais remboursé. Il est important de s’en souvenir car ce fait va intervenir dans toutes les équivoques signifiantes des rats en tant qu’argent et traites en tenant compte de ces deux orthographes Ratten- Raten.  De même il n’est pas exclu, qu’au moins aux yeux d’Ernst, son père lui aussi « aimait la cruauté ».  Dans le transfert, c’est tout aussitôt Freud qui devient ce capitaine cruel et qu’il met en relation avec la règle analytique, celle d’avoir à tout dire.

« A ce moment, le malade s’interrompt, se lève, et me demande de le dispenser de la description des détails ».  Et là, je trouve que la réponse de Freud mérite d’être soulignée de même le fait qu’il la rapporte dans ce texte officiel des cinq psychanalyses : « Je l’assure que je n’ai moi-même aucun penchant pour la cruauté, que je ne voudrais certes pas le tourmenter, mais que je ne peux le dispenser de choses dont je ne dispose pas. Il pourrait aussi bien me demander de lui faire cadeau de deux comètes ». D’après la note, il est indiqué que Schenken signifie à la fois dispenser et offrir un cadeau. On voit comment Freud, de façon innocente, utilise les équivoques signifiantes.

En somme le dispenser de l’application de cette règle analytique serait lui faire un cadeau mais un cadeau dont il ne dispose pas. Mais il me semble aussi que, par cette phrase, Freud se met sous la loi analytique, lui aussi en s’y référant. Et il est intéressant de constater que c’est la façon dont il pense faire céder les résistances de l’analysant. Il y parle en effet de « droit », de « ne pas avoir le droit » : « Vaincre les résistances est une condition du traitement à laquelle nous n’avons pas le droit de nous soustraire ». Cette phrase n’en prend que plus de portée si on se réfère à cet aphorisme de Lacan « Il n’y a de résistance que de l’analyste ». On n’a pas en effet le droit de s’y soustraire parce qu’entendre l’analysant au-delà de ce qu’il raconte est ce qui est attendu de la part de l’analyste.

Comment Freud s’y prend-t-il pour « vaincre cette résistance » ? Il me semble qu’il effectue un double mouvement. Il intervient dans les deux registres ? Tout d’abord, celui de l’imaginaire, entre O et O’, comme nous l’avons vu à propos de Dora. Il refuse d’occuper la place du capitaine cruel. Il n’a aucune tendance à la cruauté ! et là, je crois que c’est un peu trop vite dit, mais enfin il n’est pas, c’est vrai pour Ernst, le capitaine cruel. Mais ne le dit-il pas justement un peu trop vite ? D’autre part, il se réfère à la Loi analytique, celle de tout dire, dont il ne peut dispenser son analysant. Ce faisant, il me semble qu’il fait intervenir du Symbolique et ce ne peut être que bénéfique. Quel effet cela a-t-il ? Ernst commence à en parler et révèle ce que Freud appelle « l’horreur d’une jouissance par lui ignorée ».  Freud a bien joué : les trois registres lacaniens, celui de l’Imaginaire, du Symbolique, et à la fin du Réel, ont été, tour à tour, dévoilés.

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