Rêve de géants à table

480276_475138595870307_1708050351_nJ’ai avancé dans ma lecture de ce chapitre où Freud décrit le rôle que joue un stimulus extérieur sur le déroulement du rêve et où il se pose la question de savoir quel est le lien entre ce stimulus et les images mnésiques qu’il peut faire surgir. On remarque que s’il y avait une certaine cohérence entre la cloche d’une église qui sonnait pour appeler à la prière, les clochettes du traîneau tiré par des chevaux, où la pile d’assiettes lâchée par la servante, et la sonnerie du réveille-matin, avec ce nouveau rêve, ce lien entre le stimulus et l’image mnésique qu’il fait surgir est pour le moins insolite. p. 65. IDR.

« C’est ainsi par exemple que M.Simon ( le monde des rêves 1888) raconte un rêve dans lequel il voyait des personnes gigantesques assises à une table et entendait distinctement l’affreux claquement de leurs mâchoires tapant les unes sur les autres quand elles mastiquaient. En se réveillant, il entendit le martèlement des sabots d’un cheval qui galopait devant sa fenêtre. »

A propos de ce rêve Freud évoque donc des motifs autres que ce galop du cheval pour le choix de cette image mnésique ou de cette représentation inattendue. C’est frappant comme à partir de ce bruit où c’est l’oreille qui est sollicitée, apparaît un autre signifiant pulsionnel, un signifiant oral : « l’affreux claquement des mâchoires ». Qui ou quoi mastiquaient ces géants ? Qui était dévoré à pleines dents par ces ogres ?

Freud, lui aussi, se risque à faire un petit commentaire de ce rêve : ces personnes de grande taille sont sans doute à mettre en rapport avec un souvenir d’enfance où lui-même, le rêveur, était un petit lilliputien et il évoque donc « Les voyages de Gulliver » et le séjour du héros au pays des géants.

Mais tout aussitôt, à propos de cette association,  dans une note de bas de page, il met en garde les analystes : « L’interprétation faite ci-dessus en renvoyant au voyage de Gulliver est, au demeurant, un bon exemple de ce qu’une interprétation ne doit pas être. Celui qui interprète le rêve ne doit pas faire jouer sa propre astuce ni se départir d’un étayage exclusif sur les idées spontanées du rêveur. »

Nous voilà donc avertis, mais cette règle ne peut-elle pas être contestée ? L’analyste ne peut-il pas, surtout si ce rêve lui est tout spécialement adressé, se sentir concerné par le contenu latent du rêve de son analysant ? Ne peut-il pas déjà en déchiffrer quelque chose avant que l’analysant soit à même de le déchiffrer à la suite de ses associations ?

Ce qui le laisse penser, c’est ce que Reik raconte dans son ouvrage «  Écouter avec la troisième oreille » sur la façon dont l’analyste, en quelque sorte, prépare inconsciemment les moments de son interprétation à partir justement du récit du rêve de l’analysant. Il en donne une série d’exemples tous plus merveilleux les uns que les autres et racontés avec un grand sens de l’humour, un humour juif qu’il partageait avec Freud1.

Plus près de nous, je pense aussi à ce que disait Lacan du fait que l’amour de transfert est en somme le modèle de toutes les formes d’amour et que, d’autre part, il définit cet amour comme « une rencontre entre deux savoirs inconscients »2.

Tout ceci pour dire que l’étayage de l’interprétation peut ne pas prendre appui exclusivement sur les idées du rêveur mais aussi sur celles de l’analyste, en tant qu’elles peuvent se rencontrer, au niveau de leur savoir inconscient. Mais il est vrai qu’elle devrait aussi à terme emporter la conviction de l’analysant, même si il arrive que, même sans l’avoir obtenu, la justesse de cette interprétation peut se mesurer à ses effets. Je crois que Freud prenait toute cette question de l’amour de transfert de la part de l’analyste, avec des pincettes. Il essayait de s’en défendre avec l’aide de la neutralité.

1-T. Reik Écouter avec la troisième oreille. p. 178/179.

2J. Lacan séminaire Encore, séance du 26 juin 1976. «  l’important de ce qu’a révélé le discours analytique consiste en ceci, dont on s’étonne qu’on ne voit pas le fibre partout, c’est que le savoir qui structure d’une cohabitation spécifique l’être qui parle, a le plus grand rapport avec l’amour. Tout amour se supporte d’un certain rapport entre deux savoirs inconscients. Si j’ai énoncé que le transfert c’est le sujet supposé savoir qui le motive, ce n’est qu’application particulière, spécifiée, de ce qui est là d’expérience. Je vous prie de vous rapporter au texte de ce que, au milieu de cette année, j’ai énoncé ici sur le choix de l’amour. J’ai parlé en somme de la reconnaissance, de la reconnaissance à des signes toujours ponctués énigmatiquement de la façon dont l’être est affecté en tant que sujet du savoir inconscient »

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