Rêve de l’affection syphilitique

Pour terminer son paragraphe sur ce qu’il appelle les « anti-rêves de désir », Freud a emprunté à Auguste Stärke, un tout petit rêve qui a la grand mérite de livrer presque à nu les signifiants qui en constituent la trame. Freud s’est contenté de reprendre,  dans l’article de Stärke, les deux bouts de la chaîne des associations du rêveur, tout d’abord le texte du rêve puis  son interprétation.

Voici son contenu manifeste : «  J’ai et je vois sur mon index gauche une affection syphilitique de la dernière phalange »

Et son interprétation : « … on découvrira qu’affection primaire doit être mis en équation avec « prima affectio » (premier amour) et que le bubon repoussant, selon les mots même de Stärke « se révèle être le représentant de désirs fortement chargés sur le plan affectif ».

A première vue,  ce rêve peut  faire  partie de ces rêves que Freud qualifie d’anti-rêves de désir. Une fois analysé, il est en effet  dans la lignée des autres rêves qui ont précédé, celui où le rêveur se fait arrêter au bas de l’immeuble de sa maîtresse ou bien de celui où il se fait taxer par le fisc. C’est bien un anti-rêve de désir, puisque une fois interprétée cette « affection primaire » devient « premier amour ».

Cependant peut-être faut-il aussi replacer l’importance de la syphilis à cette époque, elle était en effet la compagne de la vie sexuelle et éventuellement en devenait le tribut à payer. Freud l’évoque aussi  dans les antécédents de la névrose. Les maladies vénériennes pouvaient être un beau substitut imaginaire de la castration au titre de punition. Ce bubon repoussant, cette ulcération,  évoque bien en effet la blessure féminine, selon la conception sadique du coït. Il est d’ailleurs surprenant, qu’en tant que médecin, le rêveur, dans son rêve, n’ait pas utilisé le terme adéquat à propos de cette affection primaire de la syphilis, à savoir le mot même de « chancre syphilitique » qu’il avait vu au bout de son doigt. Ce rêve serait peut-être donc une sorte de rêve charnière introduisant à la question des rêves masochistes, soit ce qui ont initié Freud à ce qu’il a découvert plus tard à l’au-delà du principe de plaisir, avec la pulsion de mort.

Claire Charlot a retrouvé le texte d’Auguste Stärke qui a pour titre « Un rêve qui semblait être le contraire d’un souhait, et en même temps un exemple de rêve interprété par un autre rêve ». Elle en fera une traduction parce que cette observation clinique illustre la façon dont ces premiers analystes travaillaient avec sérieux et brio. On peut dire avec brio, compte-tenu du fait qu’ils avaient été très peu, eux-mêmes, en analyse et qu’ils avaient quand même une grande facilité d’accès à leur savoir inconscient. Par ailleurs les associations de ce rêve éclairent la façon dont Freud a utilisé ce rêve comme charnière entre les anti-rêves de désir et les rêves qu’il appelle masochistes. Ne peut-on pas dire en effet que ce rêve peut appartenir à ces deux catégories ?

S.Freud, L’interprétation du rêve (traduction Jean-Pierre lefebvre, p. 199.

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