schémas et objets topologiques de Lacan

Un rêve de Freud surpris en tenue négligée par une servante

Ce rêve introduit toute une catégorie de rêves typiques concernant la nudité. Il se trouve toujours dans le chapitre « Matériau et sources du rêve » p. 278. Il écrit : «  Un jour je me suis épuisé à essayer de comprendre ce que pouvait bien signifier la sensation d’immobilisation, l’impression de ne pas pouvoir bouger d’un pouce […] dont on rêve si fréquemment et qui est si proche de l’angoisse. La nuit suivante je fais le rêve suivant : je sors en tenue très incomplète d’un logement au rez-de-chaussée et passe par l’escalier à un étage supérieur. Je grimpe trois marches à chaque fois, heureux de pouvoir monter des escaliers aussi agilement. Soudain je vois qu’une servante descend les escaliers et vient donc à ma rencontre. J’ai honte, voudrais me hâter, et c’est alors qu’intervient cet état d’immobilisation, je reste collé aux marches et ne bouge pas d’un pouce ».

A jamais entre O et O’, Dora et madame K.

Lacan précise bien que ce n’est que dans une référence au symbolique que le fonctionnement du schéma optique peut être assuré et pour le représenter  au cœur même du schéma, il pose le fait que le fonctionnement du miroir plan, son inclinaison plus ou moins grande, est commandée par la voix de l’Autre. D’ailleurs il nomme ce miroir plan qui répartit de part et d’autre de l’espace le moi et le petit autre, grand A. Mais avec cette voix de l’Autre ne peut être qu’introduit par ce qu’il trahit de façon énigmatique dans sa parole, ce qu’il en est de son désir.

Pour décrire ce qui se passe entre Dora et Madame K. mais aussi entre Dora et Freud, il simplifie le schéma. A la place du moi et du petit autre qui se situe de part et d’autre du miroir, il inscrit ces deux points O et O’. Entre o et o’ se passent deux mécanismes que Lacan nomme de deux termes, au reste emprunté à Freud,  » projection  » et  » introjection « . La projection va de O à O’, donc du moi au petit autre, tandis que l’introjection va dans le sens contraire de O’ à O, du petit autre au moi.

Un dilettantisme sérieux

Dans l’un de ses textes, « Contribution à l’histoire du mouvement analytique », Freud rend compte des champs voisins conquis par la psychanalyse, de son extension à l’étude des religions, des mythologies, de la littérature et bien sûr extension aux modes d’organisations sociales, avec « Totem et tabou » et «Malaise dans la civilisation ».

Il semble que Lacan, à l’inverse de Freud, irait  plutôt chercher dans d’autres champs, des moyens pour explorer et rendre compte du champ de la psychanalyse lui-même. Le passage se ferait donc plutôt, de Freud à Lacan, de l’extérieur vers l’intérieur. Par exemple quand Lacan étudie la question du nom propre, il prend appui sur la linguistique, la logique, la topologie, et sur l’ethnographie, mais ramène tout ce qu’il en tire dans le champ même de la psychanalyse.

Une approche de la « traversée du fantasme fondamental » et de son au-delà, celui de la pulsion

Dans ces trois pages de l’interprétation du rêve( p.230 à 233) se trouvent donc trois souvenirs-écrans de Freud qui alimentent au sens propre et au sens figuré pour l’un d’eux, le contenu manifeste de ces rêves.

Nous avons donc le souvenir-écran de la confusion des deux mots, « reissen » et « reisen », puis de celui qui provoqué le rêve de la monographie botanique. Par rapport à la première analyse de ce rêve, on peut se demander ce que, dans ce passage, Freud apporte de nouveau, à part ce lien indéfectible qu’il établit entre le rêve et le souvenir-écran qui témoigne de son origine infantile, celui où son père leur avait confié un livre à déchirer feuilles à feuilles, comme on effeuille un artichaut. Il me semble que c’est peut-être la certitude qu’il a de sa réalité en prenant appui justement sur la longue chaîne métonymique qu’il cite «  Cyclamen-fleur préférée- plat préféré-artichaut-retirer les feuilles comme pour un artichaut, une à une – herbier – ver bibliophage dont les plats préférés sont des livres. »

Freud ne dit pas tout du secret dernier de ce rêve et de ce souvenir écran qui le contient mais il nous dit : «  … je puis assurer que le sens ultime du rêve, que je n’ai pas développé ici, est en très intime relation avec le contenu de la scène infantile ».

Un rêve où Freud « galvanise » Nansen, l’explorateur polaire

Nous avons  travaillé, ces dernières semaines, la façon dont Lacan a analysé les trois rêves de cette femme hystérique, du type de l’eau qui dort,  dans deux séances du séminaire des Formations de l’inconscient. Nous en sommes maintenant aux trois rêves de Freud qui sont également très intéressants dans la partie «  L’infantile dans le rêve » pages 230 et 231.

En effet Freud reprend l’analyse du rêve de la monographie botanique et du rêve de l’oncle Joseph, pour les rattacher à deux souvenirs-écrans, qui sont en quelque sorte à l’arrière-plan de ces rêves. Par contre il évoque pour la première fois, ce rêve où il porte secours à l’explorateur Nansen.

Il renvoie lui aussi à un souvenir-écran, ce qui est pour lui sans doute une page de honte : des adultes (ses grands frères) s’étaient moqué de lui parce qu’il avait confondu deux mots REISEN et REISSEN. Il me semble que nous devons tous avoir des souvenirs de ce genre où nous nous sommes heurtés à la difficulté de trouver l’usage juste des mots. Cela nous arrive même en tant qu’adultes.

Lacan relit le rêve de la bougie qui ne tenait pas bien

Dans le séminaire des formations de l’inconscient, séance du 14 mai 1958, Lacan continue à construire tous les étages du graphe du désir avec l’aide, entre autres, de quelques rêves tirées de L’interprétation du rêve, dont celui de la Reine de Suède derrière ses volets fermés. Plus précisément cette fois-ci, il me semble qu’il étaye la lettre petit d de ce graphe en tant qu’il le spécifie, cette fois-ci, d’être désir du grand Autre.

Lacan indique ceci : « On peut mentionner un troisième rêve que je n’ai pas eu le temps d’aborder la dernière fois, que je peux bien vous lire maintenant. «  Elle place une bougie dans un chandelier. La bougie est cassée, de sorte qu’elle tient mal. Les petites filles de l’école disent qu’elle est maladroite ; mais la maîtresse dit que ce n’est pas de sa faute ». Dans ce cas encore, voici comment Freud rapporte ce rêve aux faits réels «  Elle a bien mis hier une bougie dans le chandelier ; mais celle-ci n’était pas cassée ». Cela est symbolique. A la vérité on sait ce que signifie cette bougie : si elle est cassée, si elle ne tient pas bien, cela indique l’impuissance de l’homme ». Et Freud souligne «  ce n’est pas de sa faute » […]

L’important c’est qu’ici nous voyons apparaître alors à l’état nu, si je puis dire, et isolé, à l’état d’objet partiel, sinon volant, le signifiant phallus et que le point qui est important […] est évidement ici dans « ce n’est pas de sa faute ».

Exercice de style autour du Réel, symbolique et imaginaire noués par le symptôme

Lacan a introduit très tôt dans son enseignement ces trois catégories du Symbolique, de l’Imaginaire et du Réel comme étant trois catégories qui permettent de structurer ce qu’il en est de l’expérience analytique, de pouvoir s’y repérer de façon rigoureuse et surtout d’assurer ce qui est la fonction décisive du psychanalyste, l’interprétation.

Ce R.S.I en raccourci, est une gageure que nous avait proposée une participante à une liste de discussion consacrée à la psychanalyse : Peut-on dire, juste en quelques mots ce que sont ces trois catégories du Réel, du Symbolique et de l’imaginaire et comment ils sont noués par le symptôme ?

J’ai essayé de le démontrer à l’aide de trois exemples, trois traits d’esprit, ceux que Lacan a empruntés à Freud, et qu’il commente dans le séminaire des Formations de l’inconscient.

Lacan relit le rêve de l’injection faite à Irma avec le schéma L

Séance du 9 février 1955

Quand on commence à lire une séance du séminaire on ne sait jamais où elle va nous entraîner. Comme je voulais un peu replacer à nouveau ce rêve de l’injections faite à Irma, tel que Lacan s’y intéresse dans ce séminaire, je me suis aperçue qu’il prend cette question du rêve d’une façon inversée par rapport à celle de Freud.

Je m’explique, Freud commence par présenter matériellement ce qu’est l’interprétation d’un rêve, avec ce rêve de l’injection faite à Irma, avant même d’avancer son schéma de l’appareil psychique dans le chapitre VII du livre.

Lacan prend le chemin inverse, dans cette première séance qu’il consacre à l’analyse de ce rêve, celle du 9 février 1956, il  décrit  d’abord ce qu’il en est des différents temps d’élaboration de cet appareil de l’Esquisse à la Traumdeutung et s’arrête longuement sur les difficultés qu’a rencontré Freud pour rendre compte de l’état de conscience, ce qu’il appelle le système perception  conscience.  Il explique par une jolie métaphore, que ces appareils ne sont que les « premiers battements d’ailes de Freud » et que ce qui ne lui permettait pas de résoudre le problème c’est le fait qu’il n’avait pas encore pris en compte la question du narcissisme.

Comment Joyce visait le symptôme en tant que tel

kleeEn plus des deux versions existantes de Joyce le symptôme, il existe un troisième texte qui a pour titre : « De James Joyce comme symptôme ». C’est le texte d’une conférence qui a eu lieu à Nice en janvier 1976.

 Lacan dans ce texte commence par rappeler ce qui est son mode de lecture de Freud :

« C’est dans lalangue, avec toutes les équivoques qui résultent de tout ce que lalangue supporte de rimes et d’allitérations, que s’enracine toute une série de phénomènes que Freud a catalogués et qui vont du rêve, du rêve dont c’est le sens qui doit être interprété, du rêve à toutes sortes d’autres énoncés qui, en général, se présentent comme équivoques, à savoir ce qu’on appelle les ratés de la vie quotidienne, les lapsus, c’est toujours d’une façon linguistique que ces phénomènes s’interprètent, et ceci montre… montre aux yeux de Freud que un certain noyau, un certain noyau d’impressions langagières est au fond de tout ce qui se pratique humainement, qu’il n’y a pas d’exemple que dans ces trois phénomènes – le rêve, le lapsus (autrement dit la pathologie de la vie quotidienne, ce qu’on rate), et la troisième catégorie, l’équivoque du mot d’esprit –, il n’y a pas d’exemple que ceci comme tel ne puisse être interprété en fonction […] d’un premier jeu qui est… dont ce n’est pas pour rien qu’on peut dire que la langue maternelle, à savoir le soin que la mère a pris d’apprendre à son enfant à parler, ne joue un rôle ; un rôle décisif un rôle toujours définitif ; et que, ce dont il s’agit, c’est de s’apercevoir que ces trois fonctions que je viens d’énumérer, rêve, pathologie de la vie quotidienne : c’est-à-dire simplement de ce qui se fait, de ce qui est en usage, la meilleure façon de réussir, c’est, comme l’indique Freud, c’est de rater. Il n’y a pas de lapsus, qu’il soit de la langue ou de la plume, il n’y a pas d’acte manqué qui n’ait en lui sa récompense. C’est la seule façon de réussir, c’est de rater quelque chose. Ceci grâce à l’existence de l’inconscient.

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