Renée, l’analysante de Maurice Bouvet (1)

Par une dizaine de lignes, Bouvet énonce ses intentions : présenter un cas de névrose obsessionnelle féminine pour y démontrer l’importance de la reconnaissance de l’envie du pénis dans la cure. Il pose d’emblée ce qui a été pour cette femme l’effet de cette reconnaissance « l’assouplissement du Surmoi féminin infantile ».

Deux points qui seront à élucider se posent donc d’emblée : qu’est-ce que ce concept posé par Freud qui lui a valu la haine tenace des féministes, le terme même « envie du pénis » qui est, pour le complexe de castration féminin, l’élément structural.
Autre point tout aussi important cette question du Surmoi féminin infantile.

Suit une phrase qui pour l’instant ne peut être que très énigmatique mais qui nous porte pourtant au cœur du problème qui va l’opposer à Lacan, la question de l’identification à l’analyste. En somme au lieu de centrer l’analyse sur le point clé du désir du psychanalyste, Bouvet la centre sur l’identification à l’analyste.

Voici ce qu’il en écrit : « comme l’obsédé masculin, la femme a besoin de s’identifier sur un mode régressif à l’homme pour pouvoir se libérer des angoisses de la petite enfance ; mais alors que le premier s’appuiera sur cette identification, pour transformer l’objet d’amour infantile en objet d’amour génital, elle, la femme, se fondant d’abord sur cette même identification, tend à abandonner ce premier objet et à s’orienter vers une fixation hétérosexuelle, comme si elle pouvait procéder à une nouvelle identification féminine, cette fois sur la personne de l’analyste ».Mais autant garder cette phrase en réserve pour l’élucider plus tard et entrer dans le vif de l’histoire de Renée.

« C’est une femme de 50 ans environ, bien portante, mère de deux enfants, exerçant une profession paramédicale, qui a subi dans un proche passé une analyse de deux ans sur laquelle nous avons peu de renseignements. Nous savons qu’elle eut pour son médecin un sentiment assez vif qu’elle n’extériorisa pas facilement et qu’elle interrompit sa cure sous des prétextes variés. Elle n’était d’ailleurs encouragée dans cette attitude par une amélioration très importante de ses phénomènes obsessionnels qui s’amenuisaient dès qu’elle entrait en traitement, pour réapparaître d’ailleurs quelque temps après la suspension de celui-ci. Elle était dans un état d’angoisse extrême quand elle vint nous trouver et nous dûmes la prendre en traitement immédiatement, ne pouvant la recevoir, comme elle était en surnombre, que deux fois par semaine.
Elle souffrait d’obsessions à thème religieux : phrases injurieuses ou scatologiques s’imposant à elle incoerciblement en contradiction formelle avec ses convictions, dès qu’elle désirait prier, ou même spontanément.
Elle se représentait en outre, imaginativement, des organes génitaux masculins, sans qu’il s’agisse de phénomènes hallucinatoires, à la place de l’hostie. Elle réagissait à tout cela, quoique ne s’en dissimulant pas le caractère morbide, par une crainte violente de damnation.
Cet état s’était aggravé lorsqu’elle avait essayé de diminuer volontairement ses possibilités de maternité, mais avait commencé dès son mariage.
Elle avait présenté en outre d’autres phénomènes obsessionnels, soit concurremment, soit isolément, de telle manière qu’on pouvait la considérer comme malade, depuis l’âge de 7 ans environ.
Voici la liste de ses principales obsessions
– crainte obsédante d’avoir contracté la syphilis, ce qui l’amena à s’opposer, en vain d’ailleurs, au mariage de son fils aîné ;
– obsessions infanticides entremêlées à ses obsessions religieuses ; ses propres enfants n’en étaient pas l’objet ;
– obsessions d’empoisonnement de sa famille par des rognures d’ongles tombant dans la nourriture, ou par simple contact des doigts avec les aliments, ou encore, par contact des doigts avec le pain, même protégé par un linge ;
– à la puberté, obsession d’étrangler son père, obsession de semer des épingles dans le lit des parents pour piquer sa mère ;
– à l’âge de 7 ans, apparition de phobies touchant la sécurité de ses parents – phobies soulagées par un simple moyen de défense logique : vérification de leur retour à la maison, par exemple.
Contre ces pensées, cette malade emploie des procédés de défense dont les uns sont encore d’apparence logique : vérifications, précautions ; dont les autres sont franchement magiques et se résument dans l’annulation : dans l’enfance toucher 3 fois la plinthe de l’appartement pour « annuler ». Plus tard, se répéter trois fois « non, je ne l’ai pas pensé ».
Il suffit de parcourir la liste de ces phantasmes pour se rendre compte qu’ils sont sous-tendus par une énorme agressivité ; d’ailleurs, comme il est classique de le constater, l’agressivité infiltre le moyen de défense lui-même. Cette femme souffrant d’un complexe de castration féminine annule ses pensées agressives de castration par la réaffirmation sur un mode symbolique de son désir de possession phallique, « triple répétition de la formule conjuratoire».

Il y a une erreur d’accord dans le texte : l’adjectif «féminine » est accordé à la castration et non pas au complexe.

Avec cette liste des obsessions, nous ne sommes pas dépaysés par rapport aux obsessions d’Ernst Lanzer, dit l’Homme aux rats.
Par contre nous ne pouvons qu’être surpris de lire que d’emblée Bouvet nous annonce l’énorme agressivité de cette analysante au lieu de se demander quels sens ils vont, tous les deux, lui et elle, pouvoir donner à ces obsessions. En l’abordant ainsi il se place d’emblée au niveau du moi et de l’autre. Ils ne pourront être qu’à tu et à toi.
A ce propos on peut lire le texte de Lacan l’agressivité en psychanalyse.

Mais pour l’instant, on peut se contenter de rapprocher plutôt le texte de Bouvet de celui de Freud, notamment ce qu’il raconte p. 220 des Cinq psychanalyses.
« Les obsessions paraissent, on le sait, soit immotivées, soient absurdes, tout comme la teneur de nos rêves nocturnes. La première tâche qu’elles nous imposent est de leur donner un sens et une place dans le psychisme de l’individu.

Freud nous en donne d’emblée l’exemple, celui de sa compulsion au suicide, avec l’ordre qu’il recevait de se trancher la gorge avec un rasoir. Freud en donne l’analyse suivante : il était tellement en colère contre une vieille dame qui retenait sa dame auprès d’elle, qu’il avait souhaité sa mort et pas seulement sa mort, puisque le mot d’ordre premier était « va ! et assassine la vieille femme ! » De terreur Ernst tomba par terre.
En rétorsion surgit un autre mot d’ordre « tue-toi, pour te punir d’avoir de pareils désirs ».

On verra dans ce texte, les interprétations que Maurice Bouvet propose à Renée pour chacune de ses obsessions, et notamment celles qui attirent d’emblée notre attention, celle d’étrangler son père et celle de mettre des épingles dans le lit de ses parents pour piquer sa mère, deux obsessions apparues dès l’enfance.
Se montrera-t-il un digne successeur de Freud ?

Maurice Bouvet : Œuvres psychanalytiques -I. La relation d‘objet (névrose obsessionnelle – dépersonnalisation), Paris, Payot, 1967.
Incidences thérapeutiques de la prise de conscience de l’envie de pénis dans la névrose obsessionnelle féminine , pp. 49-75.

Laisser un commentaire

Navigate