L’inconscient ignore le temps et l’analyste devrait donc l’ignorer aussi

La première partie de l’ introduction portait sur une courte présentation de l’histoire clinique de l’Homme aux loups mais replacée, grâce à la note de Freud, dans le contexte de l’histoire du mouvement analytique à savoir la désertion de Jung en qui Freud mettait tous ses espoirs par rapport à la transmission de la psychanalyse(1). A noter que c’est à la suite de cette défection/désertion que Freud créa ce fameux comité secret, celui qui devait désormais veiller au grain quant au destin de la psychanalyse.

La seconde partie concerne la question de la névrose infantile et de la névrose adulte, comment on ne peut analyser une névrose adulte sans repasser par l’analyse de la névrose infantile. Elle pose peut-être indirectement la question de la technique dans la psychanalyse des enfants par rapport à celle des adultes, même si c’est encore de façon embryonnaire mais avant tout cette seconde partie pose la question de ce qu’est la psychanalyse et ses fondements, à savoir l’Œdipe et l’existence de la sexualité infantile. Son arrière-plan est la désertion de Jung.

La troisième partie aborde une question toute aussi importante la question du temps dans l’analyse. Là aussi il faut lire ces passages ligne à ligne. Il y a de magnifiques formulations telles celle-ci : « Naturellement un cas unique ne renseigne pas sur tout ce qu’on voudrait savoir. Plus exactement il pourrait tout enseigner pour autant qu’on fût en état de tout comprendre et qu’on ne fût contraint par l’inexpérience de sa propre perception de se contenter de peu. »

Bien sûr c’est là l’aveu des limites de l’analyse qui est tout à l’honneur de Freud quant à son honnêteté intellectuelle et sa modestie, mais pas seulement, je me demande si cette phrase n’éclaire par la dernière partie de cette introduction concernant la résistance obstinée de l’Homme aux loups par rapport à ce qui ne pouvait que demander à se manifester de son désir inconscient.

Cette phrase de Freud concernant ses propres limites quant à ses possibilités d’écoute me semble en effet converger vers cet aphorisme de Lacan beaucoup plus fermé et donc beaucoup plus énigmatique « Il n’y a de résistance que de l’analyste ». (Ecrits) Dans la phrase de Freud cette résistance de l’analyste serait celle qui l’empêche de tout comprendre, de tout entendre. Comment s’en étonner !

Le temps c’est de l’argent

Certes l’inconscient ignore le temps mais est-ce que ce même inconscient ignore également que « le temps c’est de l’argent » ? Et là est-ce qu’on ne retrouve pas à propos du temps, la fonction de l’argent dans l’analyse comme une sorte de moteur de l’analyse, un pousse-à-parler ?

On a certes le temps mais il faut aussi avoir l’argent ! Or la question de l’argent dans l’analyse a été cruciale pour l’Homme aux loups (Elle l’est ou devrait l’être pour chaque analysant). Tout un temps, il en a eu de trop, de trop justement pour le pousser à parler. Il était riche. Ensuite, après la perte de sa fortune, c’était les psychanalystes qui payaient pour lui, qui le subventionnaient. On en verra les effets plus tard, dans le compte-rendu de son analyse avec Ruth Mack Brunswick. Par cet argent donné, il était persécuté.

Je me pose aussi la question à propos de cette atemporalité de l’inconscient posée par Freud comment on pourrait l’articulet aux trois temps logiques décrits par Lacan, l’instant de voir, le temps pour comprendre, le moment de conclure. Alors c’est un peu risqué de l’affirmer ainsi car cela mériterait d’être étayé, mais il ne serait pas impossible que ce soit ce temps qui est de l’argent qui assure ce passage de l’un à l’autre. Il doit précipiter le moment de conclure, de par la grande équation freudienne : selles, argent, cadeau, pénis, enfant. Dans cette équation le temps vient se substituer à l’argent.

« Un pour tous, tous pour un »

Les analyses longues et difficiles qui sont celles aussi où l’analyste apprend donc beaucoup (elles sont fructueuses) permettent ensuite de gagner du temps pour d’autres analysants.

C’est ce que nous affirme Freud dans ce passage. Certes on peut dire qu’il prend ainsi de la bouteille, il devient un analyste d’expérience, mais quand même n’est-ce pas en contradiction avec ce qu’il dit ailleurs que l’analyste doit oublier tout ce qu’il sait, en écoutant un nouvel analysant, ou encore, comme le dit Lacan, que l’analyste doit à chaque fois refaire l’innocent ?

Les deux aspects de la question ne doivent pas être inconciliables, malgré cette apparente contradiction. Le savoir théorique de l’analyste doit rester à l’arrière-plan et ne pas intervenir lorsqu’il écoute ses analysants, chacun dans leur singularité, mais il peut ressurgir à point nommé comme association libre de l’analyste quand il prépare de façon inconsciente, sans rien en savoir à l’avance, le moment de son interprétation.

Quoiqu’il en soit, tout comme Freud avait opposé la névrose infantile et la névrose adulte, dans ce paragraphe il oppose les psychanalyses longues, difficiles et pour cette raison fructueuses aux psychanalyses courtes qui sont pour le psychanalyste de peu d’intérêt quant aux nouveaux champs qu’il peut explorer.

Les courtes sont précieuses pour « la confiance en soi du thérapeute et manifesteront l’importance médicale de la psychanalyse ; pour l’avancement de la connaissance scientifique elles sont de pu d’intérêt. »

Les analyses longues sont les plus intéressantes et elles profitent aux analyses courtes. « Le médecin doit se comporter aussi hors du temps que l’inconscient lui-même […] Mais l’analyste peut se dire que les résultats qu’il a acquis sur un cas, dans un travail si long, contribueront à raccourcir sensiblement le traitement d’une prochaine maladie tout aussi grave, et ainsi à surmonter progressivement l’atemporalité de l’inconscient, après qu’on se sera soumis à elle une première fois ».

Médecin ou psychanalyste ? Il faut choisir.

Je trouve que Freud dans ces passages relativement à l’analyse de l’Homme aux loups se comporte plus en médecin qu’en psychanalyste et du reste tout son vocabulaire en témoigne.

C’est peut-être là où le bât blesse dans cette analyse et on commence à l’entrevoir. En complète contradiction avec tout ce qu’il vient d’affirmer sur l’atemporalité de l’inconscient et celle du travail de l’analyste, dans la quatrième partie de cette introduction Freud nous indique comment il a de fait posé un ultimatum à son analysant. Son analyse devait être terminée à telle date, une date fixée par l’analyste.

Je me demande si ce qui cloche dans cette introduction ce n’est pas le fait qu’il parle du travail de l’analyste et non pas du travail de l’analysant.

Lacan a en effet posé que c’est l’analysant qui effectue la tache psychanalysante, le rôle de l’analyste est celui de permettre que puisse s’effectuer cette tache. Donc en principe ce n’est pas lui qui doit travailler c’est l’analysant. Cela ne veut pas dire pour autant que l’analyste de son côté se tourne les pouces. Ne rien faire est tout un art !

1- S.Freud, Remarques préliminaires, Extrait de l’histoire d’une névrose infantile, L’Homme aux loups par ses psychanalystes et par lui-même, Gallimard, p. 172.

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