Deux rêves de femmes comblées ou « La symbolique du rêve »

 Dans l’Interprétation des rêves Freud consacre un chapitre à la question de la symbolique. Il y écrit : « Quand on s’est familiarisé avec l’emploi surabondant de la symbolique pour figurer le matériel sexuel dans le rêve, on se demande si beaucoup de ces symboles ne sont pas analogues aux signes sténographiques pourvus une fois pour toutes d’une signification précise; on est tenté d’esquisser une nouvelle clef des songes d’après la méthode de déchiffrage. Il faut ajouter à cela que cette symbolique n’est pas spéciale au rêve, on la retrouve dans toute l’imagerie inconsciente, dans toutes les représentations collectives, populaires notamment: dans le folklore, les mythes, les légendes, les dictons, les proverbes, les jeux de mots courants : elle y est même plus complète que dans le rêve. Bornons-nous ici à dire que la figuration symbolique est au nombre des procédés indirects de représentation; mais qu’il ne faut pas la confondre avec les autres procédés indirects sans s’en être fait un concept plus clair ».

Quels sont ces autres procédés ? Freud évoque-t-il ainsi les deux autres mécanismes : celui de la condensation et du déplacement sans oublier cette sorte de coup de Badigeon que le sujet donne au rêve pour lui donner un semblant de cohérence ?

Donc l’utilisation des symboles est un des moyens utilisés pour fabriquer le contenu manifeste du rêve et il sert à se guider dans le déchiffrage du rêve, mais il n’est qu’un des moyens utilisés à la fabrication du rêve et ne peut donc pas être transformé en clé des songes et donner son sens au rêve.

Il peut aider à son interprétation, mais pas de façon exclusive, ne serait-ce que parce que chacun fait un usage singulier de ces symboles universels.

De plus si ce symbolisme ne peut pas servir de seule méthode de déchiffrage du rêve, c’est parce qu’il faut aussi tenir compte des associations du rêveur à propos du texte de ce rêve.

« Les deux techniques d’interprétation doivent se compléter ; mais d’un point de vue théorique aussi bien que pratique, la plus importante est celle que nous avons décrite en premier lieu, celle qui donne une importance décisive aux explications du rêveur. La traduction des symboles n’intervient qu’à titre auxiliaire ».

Ce qui me paraît important c’est que ces symboles servent comme un mode de figuration du rêve : Freud utilise même le terme « d’Imagerie inconsciente »

J’en ai choisi deux exemples qui sont très courts pour démontrer cette fonction du symbole, une fonction limitée.

Un drôle de couvre-chef !

« Je vais me promener dans la rue en été, je porte un chapeau de paille de forme particulière, dont le milieu est relevé en l’air et dont les côtés retombent (ici la description hésite) de telle sorte que l’un tombe plus bas que l’autre. Je suis gaie et me sens en sécurité, et, en passant devant un groupe de jeunes officiers) je pense: vous ne pouvez rien me faire. »

Comme elle ne peut rien me dire du chapeau de son rêve, je lui dis: « Le chapeau doit être un organe génital mâle, avec son centre dressé et ses côtés qui pendent. Il peut paraître bizarre que le chapeau représente l’homme, mais on dit bien: « Unter die Haube kommen » ( = trouver à se marier; litt. : venir sous le bonnet, porter la coiffe). » Je fais exprès de m’abstenir de toute interprétation au sujet des côtés qui pendent de manière inégale, bien que ce soient ces sortes de particularités qui guident le mieux une interprétation. J’ajoute: « Quand on a un mari aussi bien doué, on n’a rien à craindre de la part des officiers, c’est-à-dire rien à désirer d’eux. » Cela parce que ses fantasmes de tentation l’empêchent de sortir sans être protégée et accompagnée. J’avais déjà pu à diverses reprises, en m’appuyant sur d’autres faits, lui expliquer ainsi son angoisse.

La manière dont la rêveuse s’est conduite après cette interprétation est bien curieuse. Elle a d’abord retiré la description du chapeau et prétendu qu’elle n’avait pas dit que les côtés pendaient. J’étais trop sûr de ce que j’avais entendu pour me laisser convaincre. Elle s’est tue un moment, puis a trouvé le courage de demander d’où venait que son mari eût un testicule placé plus bas que l’autre et si tous les hommes étaient comme ça. Ainsi s’expliquait ce détail du chapeau; l’interprétation était acceptée.

Au moment où ce rêve me fut raconté par la malade, je connaissais depuis longtemps le symbole du chapeau. D’autres cas, moins transparents, m’ont fait supposer que le chapeau pouvait également représenter les organes féminins… »

Est-ce que vous ne pensez pas que si le chapeau défini comme symbole de l’organe masculin, il est du registre de la signification, il est dans le texte du contenu manifeste du rêve. Il fait partie de sa figuration, de sa mise en scène. Mais que, par contre, dans l’autre sens pour retrouver le contenu latent du rêve, le texte inconscient, Freud, lui se sert de cette équivoque proprement signifiante « Unter die Haube kommen » littéralement se mettre sous la coiffe de quelqu’un ?

C’est ce que faisait cette astucieuse analysante, elle s’était coiffée des organes génitaux de son mari pour être sûre de résister à la tentation de se laisser séduire par tous ces jeunes officiers.

« Ah comme j’aime les militaires ! » se disait-elle in petto. Peut-être l’air célèbre de la Grande Duchesse de Gérolstein avait-il inspiré son rêve. Offenbach connaissait l’âme féminine, Freud aussi…

Je voudrais aussi souligner au passage, à propos de ce rêve, combien il est une belle démonstration de ce que Lacan soutenait dans les dernières années de son séminaire que l’homme aussi est un symptôme pour une femme. Là, il était au cœur de sa phobie, instrument de sa protection.

Une malle pleine à craquer

Ce second rêve est intéressant parce que cette malle remplace, est équivalente au coffret à bijoux de Dora. Freud le cite simplement comme un exemple de symbolisme du rêve :

Un rêve nous dit Freud qui « parait aussi très innocent. «]’ai rêvé, dit une dame, quelque chose que j’avais réellement fait dans la journée. Une petite malle l’ait tellement pleine de livres que j’avais peine à la fermer. Je l’ai rêvé comme cela s’était réellement passé. » La rêveuse, ici, fait elle-même remarquer l’accord du rêve et de la réalité. Tous les jugements de cette sorte, toutes les remarques faites à. propos du rêve, lors même qu’ils pénètrent dans la vie éveillée, appartiennent au contenu latent, nous le verrons par d’autres exemples. On nous affirme donc que ce que le rêve raconte s’est bien passé pendant la journée. Il serait trop long d’indiquer comment on a eu l’idée d’appeler l’anglais à son aide pour interpréter ce rêve. Bref, il s’agit de nouveau d’une petite boîte (box) (cf. p. 138, le rêve de l’enfant mort dans la boîte), qui a été tellement remplie qu’on n’y peut plus rien introduire. Cette fois du moins rien de coupable. Dans tous ces rêves « innocents » on voit nettement comment des raisons sexuelles ont provoqué la censure. »

Jones a consacré un grand texte à la symbolique des mythes, des rêves et des symptômes. Lacan lui a rendu hommage, au moment de sa disparition en commentant ce texte sous ce titre« A la mémoire d’Ernest Jones, sur sa théorie du symbolisme ». C’est dans les Ecrits.

Je vais profiter de cette occasion pour les relire. Mais d’emblée il me semble que tout ces symboles sont des effets d’anciennes métaphores qui sont en quelque sorte laissées à la disposition du sujet. Il peut les adopter. Elles lui vont comme un gant, mais justement parce qu’il peut les ajuster à sa mesure, leur donner une touche personnelle, les faire siennes.

Ces deux rêves le prouvent. Un chapeau tout comme une malle peuvent avoir de multiples usages.

Avec le chapeau, par exemple on peut dire « ne t’occupe pas du chapeau de la gamine» pour inciter quelqu’un à ne pas s’occuper de ce qui ne le regarde pas. On dit aussi :« travailler du chapeau » quand n’a pas les idées très claires.

Quant à la malle, ma foi, on peut aussi décider de » se faire la malle ». Mais on peut aussi l’écrire avec un seul L. pourquoi pas ? Mais il  faut  alors  lui mettre un petit chapeau. La « mâle » ! Pas mal ! non ? Il ne faut pas l’oublier, l’inconscient a plus d’un tour dans son sac comme le prouvent ces deux jolis rêves d’érotisme féminin.

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