L’hystérie ou « l’art de saisir le symptôme de l’Autre au vol »

Bienvenue sur ce site de podcasts  » une psychanalyse à fleur d’inconscient ». J’ai choisi aujourd’hui de vous parler de l’hystérie et de sa place essentielle dans la psychanalyse. Dans un texte tardif de son enseignement qui a pour titre «  Joyce le symptôme ». Lacan évoque l’hystérie de Socrate et de la façon dont il saisissait « le symptôme de l’autre au vol » mais tout en soulignant que, l’analyste, doit savoir, lui aussi, saisir le symptôme de l’autre au vol pour pouvoir l’interpréter. Il fait ainsi de Socrate, en une seule phrase, le modèle de tous les hystériques mais aussi de tous les analystes.

 Je le cite : « Socrate, parfait hystérique, était fasciné du seul symptôme saisi de l’autre au vol. Ceci le menait à pratiquer une sorte de préfiguration de l’analyse. Eût-il demandé de l’argent pour ça au lieu de frayer avec ceux qu’il accouchait que c’eût été un analyste, avant la lettre freudienne. Un génie quoi !  Le symptôme hystérique, je résume, c’est le symptôme pour LOM de s’intéresser au symptôme de l’autre comme tel : ce qui n’exige pas le corps à corps. Le cas de Socrate le confirme, exemplairement ».  Je trouve très belle cette expression de l’hystérie comme étant, en somme, l’art de saisir le symptôme au vol.

Cet art nous pouvons le saisir en le retrouvant mis en exercice dans la façon dont Freud analyse le célèbre rêve dit de la belle bouchère qui est en quelque sorte devenu un classique de la littérature analytique.

A propos de ce rêve Freud évoque ainsi pour la première fois, l’identification hystérique au désir de l’Autre, au symptôme de l’Autre, cette troisième forme d’identification, la première étant celle de l’identification primitive au père, la seconde comme étant l’identification à un petit trait de l’objet d’amour qui a été abandonné.

A ce propos, on peut en effet remarquer qu’il y a une différence entre l’objet d’identification et l’objet d’amour. Freud nous l’indique, dans le premier cas on veut être celui à qui on s’identifie, dans le second, on veut l’avoir, le posséder.

Je vous rappelle juste le texte de ce rêve de la Belle bouchère ou Freud repère donc cette identification hystérique au désir de l’Autre, en l’occurrence celle au désir de son amie et concurrente dans l’intérêt que lui porte son mari. Elle le raconte ainsi :

Je veux donner un dîner mais je n’ai pas d’autre chose en réserve qu’un peu de saumon fumé. Je pense à aller faire des courses mais je me souviens que c’est dimanche après-midi et que tous les magasins sont fermés. Je veux alors téléphoner à quelques traiteurs, mais le téléphone est en dérangement. Je dois donc renoncer au désir de donner un souper ».

Le facteur déclenchant de ce rêve est donc pour notre belle bouchère, le désir exprimé par son mari de commencer un régime et de refuser pour cela toute invitation à dîner.

Comment Freud  interprète-t-il ce rêve ? On peut repérer dans ce que nous en dit, au moins trois niveaux d’interprétation.

Le premier concerne ce qu’il en est des liens de l’analysante avec Freud lui-même. Elle conteste le fait que le rêve soit toujours une réalisation de désir et elle croit par son rêve en apporter la preuve.

Le second niveau de l’interprétation du rêve concerne les liens de son amie avec son mari. Elle ne souhaite nullement l’inviter à souper, elle, qui est un peu trop maigre, de peur qu’en lui donnant une trop bonne nourriture, elle ait encore de plus belles formes et que son mari la trouve encore plus séduisante.

Le troisième niveau d’interprétation est plus difficile à saisir, il concerne ce qu’il en est de l’identification hystérique, que l’on peut qualifier à la suite de Lacan, d’identification au désir de l’Autre.

Freud repère en effet que c’est, identifiée à son amie, en ayant attrapé son symptôme au vol, qu’elle a besoin, elle aussi d’avoir un désir insatisfait dans la vie. Pour elle, c’est le caviar, pour son amie, c’est le saumon. Quelle est la fonction d’un tel désir ? A l’époque, le saumon aussi bien que le caviar étaient des produits de luxe, ils devaient être hors de prix. Est-ce que leur degré de préciosité pouvait leur permettre de s’élever au digne rang d’objets phalliques ?

 Mais à partir de ce rêve ce qu’on peut aussi repérer c’est surtout que Freud saisit lui aussi, à son tour, le symptôme de la belle bouchère au vol en repérant qu’elle s’est identifiée à son amie, en essayant de maintenir elle aussi un désir en tant que désir insatisfait. Toutes les deux se refusant en effet à satisfaire, l’une son désir de caviar et l’autre à son désir de saumon.

Freud a certes saisi ce symptôme, tout comme un hystérique, mais de plus il l’a interprété, tout comme Socrate : «  Elle se met à la place de son amie parce que celle-ci se met à sa place auprès de son mari et qu’elle aimerait prendre sa place dans l’estime de son mari ».

 Un analyste doit donc, non seulement se servir en quelque sorte de son hystérie, de sa capacité à saisir le symptôme, mais aussi de retrouver en somme la raison inconsciente de ce symptôme partagé. En l’occurrence dans ce rêve, la jalousie de la belle bouchère à l’égard de son amie dans sa relation avec son mari. C’est donc avec le petit noyau hystérique de sa névrose que chaque analyste peut exercer ce si difficile travail du psychanalyste.

J’irais peut-être relire très vite le Banquet de Platon et le célèbre dialogue de Socrate et d’Alcibiade, pour retrouver en quoi Socrate ainsi nommé premier analyste mythique, avant même l’invention freudienne, par son art de saisir le symptôme de l’autre au vol. Je laisse ainsi la question ouverte sur le fait que Socrate, pour être ce premier analyste mythique aurait dû faire payer ceux qu’il accouchait au lieu de discourir avec eux à longueur de temps ou d’être leur amant. L’évocation des dialogues de Platon est en effet une surprenante approche de la question de l’argent dans l’analyse.

En attendant, est-ce que cette approche de l’hystérie dans l’analyse n’illustre pas, et magistralement je trouve, ce qu’affirmait Lacan que « l’interprétation doit être preste pour satisfaire à l’entreprêt » et que cet art d’attraper le symptôme de l’Autre au vol est en effet condition de son interprétation possible et surtout de son efficacité. C’est ainsi que le petit noyau hystérique de la névrose de l’analyste se trouve mis à l’honneur dans chaque analyse.

 

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