Deux rêves de castration

Dès les années 1900, au moment où Freud écrit son oeuvre initiale l’Interprétation des rêves, il analyse déjà quelques rêves qu’il met sous la rubrique “ Rêves de castration”. C’est donc là qu’il en découvre la dimension clinique.
Parmi tous ces rêves, J’en ai retenu deux qui abordent si on peut dire clairement la question. Pour le premier Freud écrit “ Un garçon de trois ans et cinq mois, qui visiblement accepte mal le retour de campagne de son père, se réveille un matin perturbé et énervé et répète sans cesse la question ; pourquoi papa a porté sa tête sur une assiette ?
Ce rêve ne peut que nous faire penser aussi bien à l’histoire d’Hérodiade qui, à la demande de sa mère, avait demandé que la tête de Saint Jean lui soit apportée sur un plateau. Pour le séduire, elle avait donc à cette occasion, dansé devant lui, la danse des sept voiles. On peut aussi penser, bien sûr, à l’histoire de Judith et Holopherne. Même si Judith, après l’avoir tranché, avait déposé cette tête dans un panier et non plus sur un plat.
Ce premier rêve exprime donc que cette crainte de castration est liée à une idée de vengeance du père par rétorsion. C’est l’enfant qui a d’abord souhaité castrer son père.
Le second rêve que Freud lui a adjoint exprime alors cette angoisse de castration. C’est le rêve d’enfance d’un étudiant souffrant d’une grave névrose obsessionnelle. Il se souvient que dans sa sixième année, il avait souvent rêvé ceci “ Il va chez le coiffeur se faire couper les cheveux. Arrive une grande femme aux traits sévères, qui approche de lui et lui tranche la tête. il reconnait cette femme comme étant sa mère.”
C’est le moins qu’on puisse dire, ce type de rêves fait dans l’enfance ne doit pas contribuer à favoriser les rapports harmonieux entre les hommes et les femmes une fois devenus adultes.
La première fois que Freud parle, tout au moins d’une façon un peu élaborée, du complexe de castration masculin, dans les « Trois essais sur la théorie de la sexualité », en 1905, il le définit ainsi : « Les petits garçons ne mettent pas en doute que toutes les personnes qu’ils rencontrent ont un appareil génital semblable au leur ; il ne leur est donc pas possible de concilier l’absence de cet organe avec l’idée qu’ils se forment d’autrui. » Cette phrase des trois essais précède le titre du paragraphe intitulé “Complexe de castration et envie du pénis ». Donc cette première définition du complexe de castration est donnée en ces termes : « les petits garçons maintiennent avec ténacité cette conviction, la défendent contre des faits contradictoires que l’observation ne tarde pas à leur révéler, et ils ne l’abandonnent souvent qu’après avoir passé par de graves luttes intérieures (complexe de castration). Leurs efforts en vue de trouver un équivalent au pénis perdu de la femme jouent un grand rôle dans la genèse de perversions multiples ».
Ainsi en ce temps de l’élaboration freudienne, ce qu’il appelle complexe de castration c’est la difficulté du petit garçon à accepter que la mère ne soit pas pourvue du même organe que le sien. » D’emblée, il note que ce n’est pas le cas de la petite fille « elle ne se refuse pas à accepter et reconnaître l’existence d’un sexe différent du sien, une fois qu’elle a aperçu l’organe génital du garçon ; elle est sujette à l’envie du pénis qui la porte au désir si important plus tard, d’être à son tour un garçon. »
Donc son approche du complexe de castration aussi bien pour la fille que pour le garçon est encore un peu succincte. Pour la fille il n’y a pas encore trace des transformations de ce désir du pénis notamment en désir d’enfant et pour le garçon ce qu’il décrit se limite au refus de la castration de l’Autre, de la mère en l’occurrence, sans prendre en compte ce qu’il nommera « angoisse de castration», c’est-à-dire crainte de perdre son propre pénis.
Quelques années plus tard en 1914, dans son texte « Pour introduire le narcissisme »[1], Freud aborde à nouveau cette question du complexe de castration en le ramenant cette fois-ci non plus à la question de la castration de l’Autre mais de la sienne propre, une castration qui met en grand danger son narcissisme : « Les perturbations auxquelles est exposé le narcissisme originaire de l’enfant, ses réactions de défense contre ces perturbations , les voies dans lesquelles il est de ce fait forcé de s’engager, voilà ce que je voudrais laisser de côté, comme une matière importante qui attend encore qu’on s’occupe de la travailler ; on peut cependant en extraire la pièce la plus importante, le « complexe de castration »( angoisse concernant le pénis chez le garçon, envie du pénis chez la fille ) et en traiter en relation avec l’intimidation sexuelle des premières années. »
Voilà donc où Freud en est de son élaboration du complexe de castration en 1914 au moment où il consacre une partie de ce texte de l’Homme aux loups à cette question sous ce titre « Erotisme anal et complexe de castration » Il m’a semblé important de replacer en effet ce chapitre de L’Homme aux loups » dans le fil de l’œuvre freudienne, pour pouvoir en mesurer toute l’importance. Ce n’est sans doute par pour rien que Lacan est allé puiser dans ce texte lui-même ce concept de « forclusion » qui lui a permis de spécifier ce qu’il en est de la structure de la psychose par rapport à la névrose. C’est assez dire qu’il mérite toute notre attention, mais pas seulement pour cette raison. En effet en prenant appui sur lâ petite parcelle d’hystérie de l’Homme aux loups, nous pouvons aisément trouver un point de jonction entre la façon dont Freud aborde cette question du complexe de castration et ce que Lacan à élaboré des trois modes d’instauration de la fonction paternelle, pour le sujet dit normal, le sujet névrosé, et le psychotique.
En effet il centre ces trois modes d’instauration, autour d’un conflit imaginaire père et fils, pour le sujet normal, la mise en scène d’une grossesse symbolique pour le sujet névrosé, dans ses symptômes, et de la mise au monde nombreux enfants de son esprit dans le délire, comme ce fut le cas du Président Schreber. Or dans ce texte de L’homme aux loups, nous trouvons en effet décrite par Freud; cette grossesse symbolique telle que L’Homme aux loups la mettait en acte dans ses symptômes sous la forme d’un beau symptôme hystérique. Il souffrait d’une constipation opiniâtre qui ne cédait notamment que lorsque son valet de chambre lui administrait un clystère. Il mettait ainsi au monde un bel enfant phallique, un enfant cadeau du père. C’est ainsi qu’il avait trouvé une solution élégante au démenti de la castration, en se réfugiant dans une conception anale de la scène primitive.

Je reprendrai chacun de ces points parce que c’est dans ce grand chapitre de l’Homme aux loups intitulé “ Complexe de castration et érotisme anal” qu’on peut articuler, faire la jonction entre ce que Freud a élaboré du complexe de castration et ce que Lacan a appelé, franchissant ainsi un pas de plus, la “ castration symbolique” et en y mettant en jeu comme une sorte d’opérateur structural, ce qu’il a nommé “métaphore paternelle”.

 

Laisser un commentaire

Navigate