Rêves et complexe de castration

Le moindre des petits rêves rapportés par Freud dans son grand texte L’Interprétation du rêve, donne accès aux questions cliniques et théoriques les plus brûlantes de la psychanalyse.
En témoignent par exemple ces deux rêves que Freud utilise pour indiquer comment tout ce qui est dit, à propos du rêve, sert à masquer son contenu latent mais, en même temps, le dévoile.
Ils illustrent certes son propos, mais également révèlent ce qu’il en est du complexe de castration qui est différent pour les hommes et pour les femmes et cet événement traumatique que constitue la découverte de la différence des sexes.
Nous en sommes toujours au chapitre « Travail du rêve » p. 373 trad. Jean-Pierre Lefebvre.

Dans le premier rêve, il y a un trou dans le récit de l’analysant, quelque chose manque

“ Un jeune homme fait un rêve très net, qui lui rappelle des productions imaginaires restées conscientes du garçonnet qu’il a été, il se trouve le soir dans un hôtel estival, se trompe de numéro de chambre et entre dans une pièce où une dame d’un certain âge et ses deux filles sont en train de se déshabiller pour aller au lit. Il continue : ensuite il y a quelques trous dans le rêve, là il manque quelque chose, et à la fin, il y avait un homme dans ma pièce qui voulait me jeter dehors et avec qui j’ai dû me battre.”

Ce commentaire est en lien avec le contenu latent du rêve : “les trous sont les orifices génitaux des femmes qui se mettent au lit : “ Il manque quelque chose” décrit le caractère principal de l’appareil génital féminin. Dans ses jeunes années, il brûlait de curiosité, de désir de savoir, de voir un appareil génital féminin, et inclinait encore à soutenir la théorie sexuelle infantile qui attribuait à la femme un membre viril”.

Le commentaire de ce rêve, “il manque quelque chose”, réveille donc des rêveries diurnes infantiles et permet de découvrir ce qu’il en est du complexe de castration masculin du rêveur. A noter qu’un homme le chasse de la pièce et qu’il est obligé de se battre avec lui.

Un autre rêve avec un « passage obscur » et une » interruption »

Voici le texte de ce rêve “ je vais avec Melle K. au restaurant du jardin public… après quoi, il y a un passage obscur, une interruption… puis je me retrouve dans le salon d’un bordel, où je vois deux ou trois femmes dont l’une est en chemise et en petite culotte”.

Le rêveur est un analysant de Freud. A l’analyse, Freud indique que Melle K. est la fille de son chef, un ersatz de sœur. Il la connait peu, mais un jour il a eu l’occasion de parler avec elle de la différence des sexes et de ce qu’il en est de leur appartenance en tant qu’homme pour lui, en tant que femme, pour elle. Freud en énonce la formule “ on se reconnaissait chacun en quelque sorte dans sa nature sexuelle, comme si l’on disait : je suis un homme et tu es une femme”.
On ne peut qu’être frappé, comme à chaque fois, dans l’analyse du moindre de ces rêves, du fait que Freud note des faits psychiques absolument essentiels. En l’occurrence, à propos de ce rêve, la question que Freud aborde, comme en passant, avec légèreté, c’est le fait qu’on ne se reconnait en tant que femme, que par rapport à un homme, et inversement.

A propos du restaurant et du bordel, il n’y est allé que très peu de fois. Au restaurant, c’était à chaque fois avec des femmes qui lui étaient indifférentes mais en tout cas de la série des sœurs.

Freud nous indique que  » l’interprétation s’est appuyée sur le passage  » passage obscur » et sur « l’interruption » du rêve et a posé que, dans sa curiosité de jeune garçon, bien que rarement à vrai dire, il avait inspecté l’appareil génital de sa soeur cadette, plus jeune que lui de quelques années. Quelques jours plus tard est venu prendre place le souvenir conscient du méfait suggéré par le rêve ».

On retrouve donc là, précédé par le rêve, le souvenir infantile, souvenir écran qui y a été mis en scène, tout comme dans le rêve précédent où il manquait quelque chose dans le récit du rêve de l’analysant qui faisait écho à l’absence de pénis des femmes.

Dans « Un discours qui ne serait pas du semblant… »

L’analyse de ce rêve m’a fait penser à ce que disait Lacan dans le séminaire « d’Un discours qui ne serait pas du semblant » où ( séance du 20 janvier 1971) il indique bien en effet que dans le discours, un homme et une femme ne peuvent s’identifier en tant que tels, que l’un par rapport à l’autre. Mais s’ils peuvent ainsi s’y repérer, c’est du fait de l’existence, pour chacun, du complexe de castration, le complexe de castration masculin et le complexe de castration féminin, à tel point que Lacan a pu formuler que pour un homme, une femme est son symptôme et que pour une femme, un homme est pire qu’un symptôme, un « ravage ».

 » On s’imagine qu’on dit quelque chose quand on dit que ce que Freud a apporté c’est la sous-jacence de la sexualité à tout ce qu’il en est du discours.
On dit cela quand on a été un tout petit peu touché par ce que j’énonce de l’importance du discours pour définir l’inconscient, et puis qu’on ne prend pas garde que je n’ai pas encore, moi, abordé ce qu’il en est de ce terme : sexualité, rapport sexuel […]
Quels que soient les trébuchements auxquels lui-même a pu succomber dans cet ordre, ce que Freud révèle que le fonctionnement de l’Inconscient n’a rien de biologique […] cela n’a absolument rien à faire ( ce biologique) avec ce dont il s’agit qui a un nom parfaitement énonçable et qui s’appelle les rapports de l’homme et de la femme.
Il convient de partir de ces deux termes avec leurs sens pleins, avec ce que cela comporte de relations […] Et alors, là ils s’aperçoivent par exemple de ceci, c’est qu’on n’attend pas du tout la phase phallique pour distinguer une petite fille d’un petit garçon. Ce n’est pas du tout pareil. Ils s’émerveillent de ça […] l’homme et la femme, il est clair que la question n’est posée de ce qui en surgit précocement qu’à partir de ceci qu’à l’âge adulte, il est du destin des êtres parlants de se répartir entre homme et femme et que pour comprendre l’accent qui est mis sur ces choses, sur cette instance, il faut se rendre compte que ce qui définit l’homme, c’est son rapport à la femme et inversement ; que rien ne nous permet dans ces définitions de l’homme et de la femme de les abstraire de l’expérience parlante complète jusques et y compris dans les institutions où elle s’exprime, à savoir le mariage.
Si on ne comprend pas qu’il s’agit à l’âge adulte de faire homme, que c’est cela qui constitue la relation à l’autre partie, que c’est à la lumière, au départ, en partant de ceci qui constitue une relation fondamentale qu’est interrogé tout ce qui dans le comportement de l’enfant peut être interprété comme s’orientant vers ce « faire homme » par exemple, et que de ce « faire homme » l’un des corrélats essentiels, c’est de faire signe à la fille qu’on l’aime. Que nous nous trouvons pour tout dire placés d’emblée dans la dimension du semblant et aussi bien tout en témoigne, y compris les références, qui sont communes, qui traînent partout, à la parade sexuelle chez les mammifères, supérieurs principalement, mais aussi chez, dans un très très grand nombre de vues que nous pouvons avoir très, très loin, dans le phylum animal, qui montrent le caractère essentiel dans le rapport sexuel de quelque chose qu’il convient parfaitement de limiter au niveau où nous le touchons, qui n’a rien à faire ni avec un niveau cellulaire qu’il soit chromosomique ou pas, ni avec un niveau organique, et qu’il s’agisse ou non de l’ambiguïté de tel ou tel tractus concernant la gonade, c’est à savoir un niveau éthologique qui est celui-ci, celui proprement d’un semblant.
C’est en tant que le mâle, le mâle le plus souvent, la femelle n’en est pas absente puisqu’elle est précisément le sujet qui est atteint par cette parade, c’est en tant qu’il y a parade que quelque chose qui s’appelle copulation sexuelle sans doute dans sa fonction, mais qui est statuée d’éléments d’identité particuliers, il est certain que le comportement sexuel humain trouve référence aisément dans cette parade telle qu’elle est définie au niveau animal. Il est certain que le comportement sexuel humain consiste dans un certain maintien de ce semblant animal.
La seule chose qui l’en différencie, c’est que ce semblant soit véhiculé dans un discours et que c’est à ce niveau de discours, à ce niveau de discours seulement qu’il est porté vers, permettez-moi, quelque effet qui ne serait pas du semblant. Cela veut dire qu’au lieu d’avoir l’exquise courtoisie animale, il arrive aux hommes de violer une femme ou inversement.
Aux limites du discours en tant qu’il s’efforce de faire tenir le même semblant, il y a de temps en temps du réel, c’est ce qu’on appelle le passage à l’acte. Et je ne vois pas de meilleur endroit pour désigner ce que cela veut dire. Observez que dans la plupart des cas le passage à l’acte est soigneusement évité. Cela n’arrive que par accident. Et c’est bien là aussi une occasion d’éclairer ce qu’il en est de ce que je différencie depuis longtemps du passage à l’acte, à savoir l’acting-out. […]
L’identification sexuelle ne consiste pas à se croire homme ou femme, mais à tenir compte de ce qu’il y ait des femmes pour le garçon et de ce qu’il y ait des hommes pour la fille. Et ce qui est important, ce n’est même pas tellement ce qu’ils éprouvent, c’est la situation réelle, permettez-moi ! C’est que pour les hommes, la fille c’est le phallus, et que c’est ça qui les châtre, que pour les femmes le garçon c’est la même chose, le phallus, que c’est ça qui les châtre aussi parce qu’elles n’acquièrent qu’un pénis et que c’est raté. »

Je trouve qu’il vaut la peine de relire l’analyse de ces deux rêves, à la lumière de ce passage de Lacan, et notamment ce que le second analysant dit de sa rencontre avec Melle K.
On y voit en effet se dessiner les deux approches, freudienne et lacanienne, du complexe de castration. Lacan prenant appui sur l’approche de Freud mais la dépassant, en élevant le phallus au rang de signifiant.

Séance du 20 janvier 1971 D’un discours qui ne serait pas du semblant : http://espace.freud.pagesperso-orange.fr/topos/psycha/psysem/semblan/semblan2.htm

 

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