Clinique du lapsus

Ce livre de Freud « Introduction à la psychanalyse » est rudement construit de façon rigoureuse comme un livre de logique. Dans la première partie ayant pour titre « Les actes manqués », il a extraordinairement condensé en deux chapitres de cette Introduction à la psychanalyse, tout ce qu’il avait déployé en prenant ses aises dans la « Psychopathologie de la vie quotidienne ». Cette densité du texte le rend très difficile à déchiffrer. Mais ce n’est pas sa seule difficulté, je ne sais pas si vous l’avez remarqué, il regroupe sous ce terme commun d’actes manqués à la fois les actes manqués proprement dits, quand vous vous trompez par exemple de clés pour ouvrir la porte de votre maison, les actes accidentels, ceux qui peuvent être dramatiques, et en même temps, les oublis, les pertes d’objets, les lapsus et erreurs de lecture donc tout est mis dans le même sac sous ce terme générique d’acte manqué. Ceci pose donc une question plus qu’épineuse, qu’est-ce qu’un acte ? C’est épineux parce que si on le décale un peu plus, si on pousse le bouchon un peu plus loin, on se trouve nez à nez avec la question de l’acte sexuel et l’acte analytique et même, allons-y, de l’acting out et enfin, nous y sommes en plein dedans avec l’affaire DSK, du passage à l’acte. En bref, comme chaque fois qu’on commence à lire Freud tout un tas de questions passionnantes se posent.

Pour commencer à aborder ces deux chapitres le plus facile est d’isoler chacun des exemples cliniques de lapsus que Freud nous donne et de prendre appui sur eux pour mieux repérer ce qu’il veut nous démontrer avant tout qu’un lapsus est une belle petite formation de l’inconscient qui mérite donc d’être prise en considération au même titre que les rêves et les symptômes puisqu’elle relève du même mécanisme. Mais comme ces lapsus ne peuvent être pleinement appréciés que dans leur contexte, celui de la langue allemande, quelques lapsus des hommes et des femmes politiques français qui font les choux gras des médias peuvent eux aussi nous servir d’exemples. Je ne connaissais pas le dernier de Martine Aubry : « Le programme du parti socialiste est extrêmement vague » (au lieu de vaste)

« Les lapsus les plus fréquents sont … ceux où on remplace un mot par un autre qui lui ressemble » : « Erection » et « Election » dans le lapsus de Giscard d’Estaing. « Fellation au lieu de « inflation », le lapsus de Rachida Dati, ou encore celui révélateur de Martine Aubry, un vrai cri du cœur : « Le projet socialiste est extrêmement vague, vaste…. Tout est jeu de substitution de lettres.

ERECTION

ELECTION

_

FELLATION

INFlATION

_

VAGUE

VASTE

L’autre forme de lapsus consiste à dire exactement le contraire de ce qu’on voudrait dire. C’est tout au moins ce qu’écrit Freud, mais n’est pas au contraire ce qu’on ne voulait pas dire qu’on finit par dire quand même dans le lapsus ?

Rachida n’a pas grand-chose à cirer de l’inflation, elle rêve peut-être de fellation, il en est de même de Giscard D’Estaing parlant devant un parterre de journalistes, peut-être y en a-t-il une qui lui a tapé dans l’œil, on ne sait, en tout cas il pense sexe. Martine Aubry est loin d’être dans ce registre de la gaudriole mais elle dit tout haut ce qu’elle pense tout bas, que le projet socialiste est encore un peu vague et non pas vaste.

Freud donne cet exemple du président de séance qui au lieu de déclarer la séance ouverte la déclare close, n’avait-il pas envie qu’elle soit déjà terminée ?

Donc Freud dans sa démonstration en arrive à cette conclusion que quelque soit la déformation que le lapsus a fait subir à ce qu’on avait l’intention de dire, ce lapsus a toujours un sens. « C’est un acte psychique complet, ayant son but propre, comme une manifestation ayant son contenu et sa signification propres ».

C’est toujours un aveu, un aveu de ce qu’on pense pour de bon et de ce qui nous préoccupe. C’est un bout de vérité qui nous échappe.

Pour l’analyser il faut l’écrire, car c’est par un jeu de lettres qu’on peut mettre en évidence la façon dont il a été fabriqué le plus souvent pas assonance avec des mots qui se ressemblent non pas par leur sens mais par leurs sons. C’est toujours le son qui nous joue des tours.

Les mots d’esprit sont eux aussi construits exactement comme des lapsus. Ce trait d’esprit a été rapporté par Freud, j’ai oublié où.

Pour reprocher à quelqu’un, qui est pourtant juif, son antisémitisme, son coreligionnaire lui dit « Je connaissais votre antésémitisme mais pas votre antisémitisme ». Là encore il suffit d’écrire les deux versions qui ne jouent que d’une différence de lettres, une substitution du i par le e

ANTISEMITISME

ANTESEMITISME

C’est la raison pour laquelle Lacan nous dit que tous les lapsus sont des lapsus calami, c’est-à-dire des lapsus d’écritures.

On peut-être maintenant reprendre quelques lapsus cités par Freud en allemand : « Un autre parlant de certains procédés qui le révoltent ajoute « Dann aber sind tatsachen zum Voreschwein gekommen… » Or il voulait dire : Dann aber sind tatsachen zum Vorschein gekommen. » (des faits se sont alors révélés…) mais, comme il qualifiait mentalement les procédés en question de cochonneries (schweinerein) il avait opéré involontairement l’association des mots Vorschein et Schweinerein, et il en est résulté un lapsus Vorschwein Mettons les trois ensemble pour voir ce qui s’est passé au niveau du jeu des lettres

SCHWEINEREIN   (cochonnerie)

VORSCHEIN

VORSCHWEIN

Le w de cochonnerie est venu contaminer le Vorschein.

Un autre exemple est peut-être plus explicite : « Rappelez-vous le cas de ce jeune homme qui s’est offert à accompagner une dame qu’il ne connaissait pas par le mot begleit-digen . Nous nous sommes permis de décomposer le mot en « Begleiten » (accompagner) et Belei-digen (manquer de respect) ».

Là encore nous rapprochons le jeu des lettres

BEGLEITEN

BELEIDIGEN

 BEGLEI DIGEN

Ce jeune homme compte bien en accompagnant cette dame lui manquer de respect. Acceptera-t-elle d’être accompagnée. L’histoire ne le dit pas.

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