Avant sa Nania, une servante qui l’aimait beaucoup, Groucha

Groucha apparaît pour la première fois  dans ce nouveau chapitre VIII, qui est intitulée « Effets  d’après-coup du temps originaire », temps que l’on peut définir comme étant celui d’avant le rêve des loups. Chemin faisant, comme l’avait fait remarquer David dans l’un de ses messages, Freud rajoute de nouveaux éléments, dans chacun de ces chapitres. Je les cite de mémoire : il y a bien sûr la scène primitive au cours de la sieste et alors qu’il était atteint de malaria (à cinq heures du soir) et la séduction par sa sœur Anna. Le fait qu’elle lui faisait peur en lui montrant un certain livre d’image représentant un loup en position dressée. Il rajoute ensuite la phrase de sa mère « je ne peux plus vivre ainsi » qui devient la source de son hystérie par identification à sa mère. Dans ce nouveau chapitre, il y a l’apparition de ce nouveau souvenir-écran du papillon qu’il poursuivait  et surtout de nouveaux personnages féminins introduits par toute une série d’assonances Babouschka, Groucha, Matrona et surtout par le fait que le papillon dans sa langue se dit Babouschka.
Malgré plusieurs tentatives Freud ne réussit pas tout de suite à trouver quel était cet « être féminin » qui se cachait derrière ce souvenir-écran du machaon, ce n’est que plusieurs mois après qu’il pensa à l’ouverture et la fermeture des deux ailes de papillon qui lui avait fait « une impression insolite ».
« Comme,  disait-il, quand une femme ouvre ses jambes, et les jambes produisaient alors la forme d’un V romain, l’heure comme l’on sait, où déjà dans ses années d’enfance, mais encore maintenant, un assombrissement de son humeur avait coutume de se produire ».
Il y a donc de l’inattendu car on aurait pu s’attendre à ce que ce  papillon soit purement et simplement un animal phobique au même titre que le loup ou le lion or il n’en est rien parce que de fait ce qui avait provoqué son angoisse, ce n’était pas le papillon en lui-même mais le battement de ses ailes, ces mêmes ailes qui seront arrachées à la Wespe, la guêpe pour ne laisser à Sergeï que ses deux initiales S. P.  C’est encore un bel exemple de la façon dont chaque sujet utilise les lettres d’un  nom propre pour fabriquer ses symptômes. Chacun témoigne ainsi de beaucoup d’inventivité. Cela évoque bien sûr aussi en écho la façon dont L’homme aux rats avait fabriqué son GISELAMEN avec les lettres du prénom de sa bien-aimée.
Mais voici que surgit enfin « timidement » le souvenir d’une bonne d’enfant qui s’était occupée de lui avant sa  Nania et qui elle aussi l’aimait beaucoup. Elle s’appelait Groucha.
Mais Sergeï se ravise, Groucha n’était pas le prénom de sa mère. Par contre Groucha est le nom d’une poire qui porte des rayures jaunes comme celles du machaon. Nous passons donc des rayures jaunes du machaon, du Babouchka,  à celles de la poire et  au prénom de la servante : Groucha.
« Il fut donc clair que, derrière le souvenir-écran du papillon chassé, se cachait la mémoire de la jeune bonne. Les rayures ne se trouvaient pas sur son vêtement, mais sur celui de la poire, qui s’appelait comme elle ».
Voici donc le texte latent qui se cache derrière le souvenir-écran du machaon : «  Groucha était sur le sol, à côté d’elle un seau et un court balai fait de verges liées ; il était là et elle le taquinait ou le querellait ».
A ce souvenir est associé une autre aventure et même mésaventure, celle avec Matrona. « Un amour apparu de façon compulsive pour une jeune paysanne, auprès de laquelle il avait contracté à dix-huit ans sa future maladie ». Ce fut donc cette rencontre avec Matrona qui devint la cause actuelle de la poussée de sa névrose, celle qui le détermina à venir voir Freud. En effet pour lui, le feu appelle l’eau et donc l’énurésie.
Il n’y a pas de lien direct entre le battement des ailes de papillon et le souvenir de la scène avec Groucha. Le détour est plus complexe et  il se fait par l’entremise du nom d’une autre servante qui s’appelait « Matrona » et qui entrait donc en résonance avec le terme « matrone » et donc mère.  Les jambes qui faisaient le cinq ou le V étaient celles de sa mère et non pas celle de Groucha ou de Matrona puisqu’elles n’étaient pas dans la même position, accroupies toutes les deux, offrant la vision de leur croupe.
Donc derrière ce souvenir-écran du machaon se cachent les relations érotiques de Sergéï avec les femmes : « Il établit une liaison importante entre la scène originaire et la  compulsion ultérieure qui est devenue si décisive pour son destin et introduit en outre une condition d’amour qui explique cette compulsion.  Quand il vit la jeune fille accroupie sur le sol occupée à le récurer, à genoux, les fesses en avant, le dos tenu horizontal, il retrouva en elle la position que la mère avait prise durant la scène du coït. Elle devint pour lui la mère, l’excitation sexuelle à la suite de l’activation de cette image le saisit, et il se comporta virilement à son égard comme le père, dont il n’avait alors pu comprendre l’action que comme une émission d’urine. Son émission d’urine sur le sol était en fait une tentative de séduction et la jeune fille y répondait par une menace de castration, comme si elle l’avait compris. »
Cette même attirance pour les fesses d’une femme se renouvelle avec l’épisode de Matrona «  Il faisait une promenade à travers le village qui appartenait à la propriété (ultérieure), et vit au bord de l’étang une jeune fille agenouillée, occupée à laver du linge dans l’étang. Il s’éprit de la blanchisseuse instantanément et avec une violence irrésistible bien qu’il ne pût pas encore voir son visage du tout. Elle avait pris pour lui, par sa situation et son activité, la place de Groucha ». Freud donne encore  un nouvel exemple de ces subites énamorations compulsives : quelques années avant cette rencontre avec Matrona, il était déjà tombé amoureux  d’une jeune servante qui, comme Groucha,  récurait le sol avec un seau et un balai à côté d’elle.
Nous pouvons maintenant commencer à répartir les composantes libidinales de l’Homme aux loups, les unes étant dirigées vers son père, les autres vers sa mère, puis par l’intermédiaire de Groucha et de Matrona, vers celle qui deviendra la femme de sa vie, celle que Lacan aurait appelé sa femme « symptôme ». En suivant ce fil, on comprend mieux le sens que ce dernier donne à ce terme. On peut même en établir la chronologie qui suit :

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