Balbutiements analytiques quant à la jouissance féminine

« Une femme se sublime dans sa fonction de gaine »

La question de la jouissance féminine n’apparaît que très tard dans l’enseignement de Lacan, mais les traces qu’on y trouve avant le séminaire Encore sont très précieuses car elles marquent la progressive mise en place des repères dont il a besoin quant à l’élaboration de cette question. Il faudrait en inscrire les différentes étapes dans le temps, par exemple, les toutes premières, celle de « La signification du phallus » et ensuite des « Propos directifs pour un congrès sur la sexualité féminine ».

Lacan a plusieurs fois pris appui sur la légende de Tirésias par évoquer cette question. D’après Apollodore, voici la légende : « À propos de sa cécité, et de son art de la mantique, on raconte différentes histoires. Certains disent qu’il fut rendu aveugle par les dieux, car il révélait aux hommes des faits qu’eux voulaient garder secrets ». Mais on raconte aussi qu’il fut frappé de cécité par Athéna car il vit la déesse toute nue. Athéna lui mit alors les mains sur les yeux et le rendit aveugle. Sa mère « la supplia de rendre la vue à son fils, mais la déesse n’en avait pas le pouvoir ; alors elle lui purifia les oreilles, et cela lui permit de comprendre parfaitement le langage des oiseaux ; puis elle lui donna un bâton de cornouiller, grâce auquel il marchait comme les gens qui voient. Hésiode, pour sa part, raconte qu’un jour Tirésias vit sur le mont Cyllène deux serpents qui s’accouplaient. Il les frappa et, d’homme qu’il était, il devint femme ; ensuite, ayant observé une seconde fois les mêmes serpents en train de s’accoupler, à nouveau il redevint homme. Un jour, Zeus et Héra, qui se demandaient qui, de l’homme et de la femme, retirait le plus grand plaisir au cours de l’acte amoureux, s’en remirent à la décision de Tirésias. Tirésias répondit qu’en divisant le plaisir de l’amour en dix, l’homme avait une part et la femme neuf (suivant les versions les proportions changent). Voilà pourquoi Héra l’aveugla et Zeus lui accorda le don de divination. »

Voici maintenant ce que Lacan en avait dit dans le seul séminaire qu’il a consacré aux Noms du père : « La femme se sublime en quelque sorte, dans sa fonction de gaine, elle résout quelque chose, quelque chose qui va plus loin et reste infiniment au dehors. C’est pourquoi je vous ai longtemps commenté ce passage d’Ovide où se fabule le mythe de Tirésias. Aussi bien faut-il indiquer ce qui se voit de traces de cet au-delà inentamé de la jouissance féminine dans le mythe masculin de son prétendu masochisme. »

On ne peut bien sûr que se poser la question du sens que prend ce terme de sublimation à propos de cette question de la jouissance féminine d’autant plus qu’il ne s’agit pas en l’occurrence de sublimer quelque chose, par exemple, une des formes de la pulsion orale, anale, scopique ou invocante, comme on pourrait s’y attendre, puisque cette sublimation est classiquement décrite comme l’un des destins de la pulsion, sans refoulement, nous dit-on, mais de se sublimer soi-même.

Qu’est-ce que cela peut vouloir dire de se sublimer soi-même en tant que femme ? Il me semble que tout ce que Lacan a avancé de la question de la sublimation dans l’Ethique de la psychanalyse, en tant qu’elle consiste « à élever un objet, en tant que signifiant, à la dignité de la chose » peut nous aider à le déchiffrer. Il donne comme exemple de cette sublimation ce qu’il en est de l’amour courtois, c’est sa Dame qui devient cet objet, un objet posé comme inaccessible.

Est-ce qu’on ne peut pas dire, à partir de cette définition de la sublimation, qu’une femme serait alors capable de s’élever elle-même à cette dignité de la chose, en s’élevant au rang de signifiant du désir de l’Autre, donc en tant que signifiant phallique ? Quand Lacan définit ainsi la sublimation, il précise ce fait que pour qu’un objet soit ainsi élevé à cette fonction il faut qu’il soit capable de représenter un vide. Est-ce que cette fonction de gaine du conduit vaginal accueillant le pénis ne correspond pas à cette nécessité, sous la forme de cet qu’on appelle « Phallus en creux » ?

En s’élevant ainsi en tant qu’objet à la dignité de la Chose, elle vient ainsi « coloniser ce champ de la jouissance » qui étaient primitivement occupée par la mère. Ainsi rejoint-on ce que nous en disait Lacan dans le séminaire Encore, qu’une femme ne prend sa place dans le rapport sexuel qu’en tant que mère.

Dans cette jouissance au-delà du phallus telle que Lacan l’évoque d’une façon logique peut-être s’agit-il d’un affrontement à la mère, de triompher d’elle, une façon de prendre fantasmatiquement sa place, certes non plus dans le désir du père mais dans le désir d’un homme. Ainsi je me risquerai bien à dire que dans le rapport sexuel, une femme remet en jeu son très primitif rapport à la mère non pas du côté de l’amour mais du côté de la haine. Dans le discours analytique, on parle en effet très souvent du désir de la mort du père mais le désir de la mort de la mère qu’éprouverait la petite fille est pratiquement toujours élidé, comme s’il était très profondément refoulé .

Mais cette réoccupation fantasmatique de ce champ de la Chose ne suffit pas. Par rapport à cette jouissance féminine il faudrait en effet mettre en jeu les trois registres du Symbolique, de l’Imaginaire et du Réel. Pour le symbolique, cette jouissance sera mise en jeu par cette lettre du Signifiant de grand A barré tandis que le réel dans un effet d’après-coup de cette mise en place de la lettre sera abordé avec ce que Lacan nomme l’ex-sistence. Chacun de ces points est donc en attente : les différents sens qu’on peut donner à ce signifiant de grand A barré ainsi que ce que Lacan nomme « ex-sistence » et qu’il aborde très souvent pas le biais de la mystique.

Chacune de ces approches n’est à peine qu’esquissée à propos de cette évocation du fait qu’une femme peut se sublimer elle-même.

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