Un certain savoir sur la psychose ( à propos de l’Homme aux loups)

Il arrive que le sujet ait acquis très tôt, par sa proximité familiale avec la folie, un certain savoir sur elle, ce savoir étant acquis par tout un jeu d’identifications.On peut repérer ce savoir sur la psychose, savoir inconscient, chez quelques écrivains, tels Joyce, Virginia Woolf ou Melville (1). Cette grande proximité familiale avec la folie n’a pas manqué à Sergei.

Freud avait repéré la structure psychotique du père de Sergei. Elle est mentionnée dès l’introduction de son texte. Il déclare en effet que le père de Sergei était atteint d’une psychose maniaco-dépressive, ce qui n’était pas le cas de son fils que Freud caractérise comme ayant souffert d’une névrose obsessionnelle spontanément guérie mais avec séquelles – ces séquelles étant surtout constituées de graves inhibitions.

Cette psychose du père Freud l’indique plusieurs fois dans son texte pour indiquer le rôle qu’elle a joué dans la constitution de la névrose de Sergei.

Par exemple, page 177, il écrit : « Des parents jeunes mariés, qui connaissent encore un mariage heureux, sur lequel bientôt leurs maladies jettent les premières ombres, les maladies abdominales de la mère et les premiers accès de dépression du père qui eurent pour conséquence son absence de la maison. »

Quelques pages plus loin il indique les difficultés de Sergei au moment de son adolescence (p. 180) « Les années d’adolescence du patient furent conditionnées par un rapport très défavorable à son père, qui alors, après des accès répétés de dépression, ne pouvait plus cacher les côtés maladifs de son caractère. »

Mais dans les souvenirs de l’homme aux loups écrits de sa plume, on peut découvrir que plusieurs membres de la famille paternelle souffraient également de troubles mentaux.

On peut en prendre connaissance de la page 29 à 32. « Mon père aussi bien que ma mère avaient beaucoup de frères et sœurs dont la plupart étaient morts en bas âge ou dans leur jeunesse [or on sait l’importance de la mort de frères et sœurs dans la constitution psychique du sujet]. Deux sœurs et deux frères de ma mère vivaient encore, ainsi que trois frères de mon père. »

Parmi ces trois frères, l’oncle Pierre développa une paranoïa et il vécu en ermite complètement coupé du monde dans une lointaine et vaste propriété. Une génération avant, le grand-père  paternel se mit à boire après la mort de sa femme et, comme dans le roman de Dostoïevski « Les frères Karamazov, il se mit en concurrence avec son fils pour convoiter sa fiancée. « Mais l’élue préféra le fils au père, comme dans le roman, et épousa l’oncle Nicolas ». Son père le déshérita.

Sergei décrit alors dans ses mémoires, sa grand-mère paternelle qui était très intelligente et qui administrait de main de maître la fortune familiale qu’elle fit prospérer. Concernant cette grand-mère, il y a un point qui a attiré mon attention concernant le signifiant « petite fille » par rapport au « petit garçon » qu’on a déjà trouvé dans le texte de Freud, par rapport à sa sœur Anna qui aurait du être le garçon et lui, la fille, c’est la présence ou plutôt la cruelle absence d’une petite fille Liuba, morte de la scarlatine. Elle était une sœur du père de Sergei.

« Irina Pétrovna eut beaucoup d’enfants, mais pendant longtemps elle ne mit au monde que des garçons. Son désir le plus vif était d’avoir une fille. Enfin elle accoucha d’une fille, qui fut nommée Liuba, et qui était une enfant très mignonne. Elle mourut malheureusement de la scarlatine à huit ou neuf ans. Comme Irina Petrovna aimait passionnément Liuba, elle sombra dans la mélancolie après la mort de sa fille et perdit tout intérêt à la vie. Je crois que ma grand-mère ne put pas supporter l’idée que le destin lui avait fait d’abord la faveur d’exaucer son vœu, pour ensuite ne lui donner que des fils, comme auparavant, mais aucune fille. Se toute manière la mort d’Irina Patrovna eut quelque chose d’énigmatique. Elle prit sans doute une dose trop élevée d’un médicament dangereux, mais on ne sait pas si ce fut intentionnellement ou par mégarde. En tout cas ma mère penchait pour la seconde version. »

Ainsi ce certain savoir sur la psychose ne fait aucunement défaut à Sergei, outre l’état mélancolique de son père et l’état schizophrénique de sa sœur Anna, nous retrouvons, dans ses ascendants, le frère du père, l’oncle Pierre qui souffrait de paranoïa, et le suicide probable de la grand-mère, Irina Pétrovna, qui s’est suicidée par empoisonnement tout comme Anna sa sœur.

Mon amie Jacy Arditi a consacré un livre  à ce savoir sur la psychose de ces trois écrivains. Il est paru chez L’Harmattan.

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