Psychanalyse

Lectures à propos de l’écriture de Joyce

Je me suis mise à lire un peu  tout ce qui s’est écrit à propos de Joyce et, sans compter l’indispensable biographie de Joyce en deux volumes rédigée par Ellmann,  j’ai trouvé trois livres que j’ai trouvé intéressants par rapport à l’approche qu’en a faite Lacan.

Un livre d’Eugène Jolas, qui a aidé Joyce, et quand je dis aidé,  c’est pour de bon, effectivement, dans sa rédaction de Finnegans Wake. Un autre de Frank Budgen qui, lui,  l’a aidé à mettre en forme Ulysse. Enfin le troisième c’est celui d’un de ses confrères, Vladimir Nabokov,  l’auteur de Lolita. L’ouvrage de Nabokov a pour nom «  Proust, Kafka, Joyce ». Il fait de cet Ulysse de Joyce, presque un roman policier dont l’intrigue porte sur un personnage énigmatique l’Homme au mackintosch.
Le livre de Frank Budgen s’appelle « James Joyce et la création d’Ulysse ». Celui d’Eugène Jolas, « Sur Joyce ».

La métaphore et la condensation dans le travail du rêve

Dans son article très important des Écrits, « L’instance de la lettre dans l’inconscient », il me semblait bien que Lacan posait comme équivalentes, dans le travail du rêve, la condensation et la métaphore. Or, à une lecture attentive de ce qu’est, pour Freud, la condensation, dans ce chapitre intitulé « Le travail du rêve » et notamment en reprenant tous les signifiants du rêve de l’injection faite à Irma, il semble bien que les deux termes ne sont quand même pas tout à fait équivalents ou superposables. En effet la métaphore est bien une condensation, mais il y a d’autres formes de condensations que celle de la métaphore. Par exemple quand Freud indique que sous le personnage d’Irma se cache en fait toute une longue série des femmes dans la vie de Freud, ses amies, ses analysantes, sa fille et enfin sa femme. Il en va de même du personnage d’Otto. Il y a bien en effet une condensation de tous les personnages mais est-ce pour autant une métaphore à savoir la substitution d’un signifiant par un autre signifiant avec effet de signifié ?

« Un beau rêve »

Dans ce chapitre VI, «  Le travail du rêve », pour décrire ce qu’est le mécanisme de formation du rêve qu’est la condensation Freud prend appui sur trois rêves, le rêve de la monographie botanique qui lui sert en quelque sorte de modèle, puisqu’il est déjà interprété, et deux autres rêves qu’il va interpréter devant nous, celui intitulé « un beau rêve » et aussi le rêve d’une femme obsessionnelle, nommé « rêve du hanneton » ( Bientôt on ne saura même plus ce qu’est un scarabée ou un hanneton, ils auront tous disparu).

Ces deux rêves ont un grand intérêt parce qu’on voit comment Freud s’y prend pour analyser les rêves qui ne sont pas les siens. Comment il y intervient avec ses propres associations notamment.

De plus ce qui sert de fil de lecture de ces pages sur le travail du rêve, ses procédés de fabrication, ce sont ces vers de Goethe sur les mille et un fils d’un tissage :

« Une poussée du pied mobilise mille fils,

Et les navettes filent par-dessus, par-dessous,

Les fils s’écoulent sans qu’on les ait vus,

D’un coup mille liens entre les fils se nouent. »

Voici le texte de ce « Un beau rêve »

«  Une voiture l’emmène, en nombreuse compagnie, dans la rue X. où se trouve une modeste auberge-pension ( ce qui n’est pas exact) Dans les pièces de celle-ci, on joue du théâtre ; il est tantôt public, tantôt comédien. A la fin on lui dit qu’il faut se changer pour revenir en ville. Une partie du personnel est commise aux pièces du rez-de-chaussée, l’autre envoyée dans les pièces du premier étage. Survient alors une querelle. Ceux du haut sont fâchés que ceux du bas n’aient pas fini et qu’ils ne puissent donc pas descendre. Son frère est en haut, lui est en bas. Fâché contre son frère qu’on soit pressé de la sorte. ( Cette partie n’est pas claire). On avait, au demeurant, dès l’arrivée, défini et réparti qui devrait être en haut et qui devait être en bas. Il monte ensuite seul la côte que la rue X. franchit en direction de la ville, et marche si lourdement, si péniblement qu’il ne bouge pas de l’endroit où il est. Un monsieur d’un certain âge vient l’accompagner en proférant des injures sur le roi d’Italie. A la fin de la côte il marche alors bien plus facilement.

Le transfert comme « transcription d’une langue dans une autre »

Le chapitre VI de l’Interprétation du rêve est intitulé «  Le travail du rêve ». Dans les chapitres précédents, Freud partait toujours du texte du rêve, de son contenu manifeste pour tenter d’y retrouver ce qu’il appelle « les pensées du rêve ». Dans ce chapitre, il inverse la démarche, il part en effet des pensées du rêve pour décrire comment elles trouvent à s’exprimer et quels sont les mécanismes qui sont à l’oeuvre dans la formation du rêve, sa fabrication sous forme de rébus.Nous y retrouverons à la fois le rêve de la monographie botanique que Freud va utiliser à nouveau pour expliciter ce qu’est ce mécanisme du rêve de la « condensation », puis un nouveau rêve que Freud lui-même à intitulé «  Un beau rêve ». Il est en effet très beau. Il y est question de pommes sur un pommier. Dans le bureau de Lacan, ses analysants avaient devant les yeux, allongés sur le divan, un petit tableau que j’aimais beaucoup, un pommier avec ses pommes dans une très verte prairie.

Un rêve de Freud, « orateur perpétuel faisant de l’obstruction au parlement »

Les rêves qui se trouvent dans ce nouveau chapitre, page 309 de la version J.P Lefebvre, ne sont là que pour mettre en évidence le fait que les rêves sont toujours égoïstes et sont des célébrations du Moi du sujet. C’est toujours lui le héros du rêve.

Celui que Freud décrit, page 310, rappelle un peu le rêve de la monographie botanique. Là encore c’est un livre exposé dans la vitrine d’un libraire qui provoque son rêve : « Le nom de la nouvelle collection est : orateurs (ou discours) célèbres, et le numéro 1 de la série porte le nom du docteur Lecher. » Comme ce fragment du texte est mis en italique, cela suppose que c’est le texte même du rêve. Il est donc très court.

Dans l’analyse de ce rêve, Freud s’étonne de l’intérêt qu’il porte à ce dénommé Lecher. Il le définit en effet comme « l’orateur perpétuel de l’obstruction allemande au parlement ». C’est donc un incorrigible parleur ou orateur mais qui ne le fait que pour empêcher les autres de parler. De fait, ce Lecher,  c’est lui,  Freud, obligé de parler plusieurs heures par jour avec de nouveaux analysants.

Comment Cécilia M. confia à Freud le secret de fabrication du symptôme hystérique

Le moment est maintenant venu de vous parler  de celle qui fut pour Freud une vrai Matahari venue des pays de l’inconscient, cette dénommée Cécilia M, celle qu’il appelait dans l’une de ses lettres à Fliess, « son seul maître es Hystérie ».

Alors que ce sont d’autres hystériques qui occupent le devant de la scène, parmi elles, Emma, Catharina ou Lucy, nous ne retrouvons sa présence discrète, mais pourtant essentielle, que dans quelques notes, et quelques pages, toujours donc un peu en marge de ces études sur l’Hystérie.

Il vaut pourtant la peine de la découvrir car Freud souligne le fait que de tous les cas qu’il a décrit, il a  pu rassembler à partir de son histoire clinique, les preuves les plus convaincantes du mécanisme psychique des phénomènes hystériques.

Quand les petites filles rêvent de la mort de leur mère

Je trouve que les analystes font beaucoup plus souvent état du désir de mort à l’égard du père que de celui à l’égard de la mère. En principe, selon la loi de l’œdipe, le désir de mort de la mère est attribué plutôt aux petites filles, en fonction de leur attirance pour le père qui leur fait considérer leur mère comme une rivale. Mais la mère est aussi celle qui interdit, qui porte atteinte à leur soif de liberté.

Donc dans ce chapitre « Rêves de mort à l’égard de personnes chères », après avoir décrit le rêve de la petite faiseuses d’ange, rêve où elle transforme tous les enfants de sa famille en petits anges tous partis au ciel, tous morts, Freud décrit un autre rêve mais cette fois-ci de mort de la mère.

On peut l’appeler rêve d’une petite fille surnommée « Œil de lynx ». En fait c’est une petite fille devenue adulte et en analyse avec Freud.

Il écrit «  Un jour je trouve une dame très affligée et en pleurs. Elle me dit :  je ne veux plus voir les gens de ma famille, ils ne peuvent être qu’épouvantés par moi. »

Voici le texte du rêve «  Un lynx ou un renard ( Luchs oder Fucks) se promène sur le toit, puis quelque chose tombe ou c’est elle qui tombe, et alors on ramène sa mère, morte, à la maison et alors elle se met à pleurer des larmes de douleur. »

Une grande déréliction de la fonction paternelle dans le champ social

Freud de son temps avait évoqué, dans l’un de ses ouvrages, les malaises de la civilisation. Nous  évoquons, nous aussi souvent, ces malaises de la civilisation à l’époque où nous vivons. Sont-ils tellement différents ? Une approche analytique peut certes en être tentée et notamment  avec ce terme que Lacan évoquait, celui d’une forclusion du Nom du père dans le champ social, ce qui est un terme très fort puisque cela fait référence à la structure de la psychose, il donne pour cause de cette forclusion  une  perte de la dimension de l’amour et notamment perte de ce qu’on peut appeler une perte de la dimension de l’amour de transfert.

Pour le démontrer (c’est dans le séminaire des non dupes errent)  il décrit la façon dont se monnaye ce Nom-du-père encore appelé par lui métaphore paternelle. Ce terme même de monnayage implique bien sûr tout un système d’échanges, pour ne pas dire de trocs.  Pour avoir la chance de pouvoir porter  le nom de son père,  je dirais de plein droit,  tout  passe par la parole de la mère. De ce monnayage, elle se trouve être en effet l’indispensable intermédiaire ou médiatrice. D’elle,  dépend la réussite ou l’échec de cette brûlante négociation.

Lacan le formule ainsi «  le défilé du signifiant par quoi passe à l’exercice ce quelque chose qui est l’amour, c’est très précisément ce nom du père qui est non, n, o, n, qu’au niveau du dire, et qui se monnaye par la voix de la mère dans le dire non d’un certain nombre d’interdictions ».

Rêves de nudité avec sentiment de gêne (rêves typiques)

Le rêve de Freud surpris dans l’escalier en tenue négligée par une servante introduit donc ce chapitre des rêves typiques avec un sous-groupe intitulé « le rêve de gêne pour cause de nudité ». Il en poursuit l’analyse dans ce chapitre. p. 282.  Avant d’interpréter son rêve, Freud rapproche donc ces rêves de nudité avec gêne du conte d’Andersen «  Les habits neufs de l’empereur ». Pour ma part j’ai eu un peu de mal à suivre sa démonstration avant de repérer que ce conte est lui aussi déformé comme l’est toujours le rêve . Ce qui fait un peu drôle c’est en effet que s’il pose que l’empereur est le rêveur, ce sont ceux qui regardent qui sont gênés et non pas l’empereur lui-même. C’est amusant de faire du rêve, l’escroc qui cherche à les tromper.

Il compare aussi ces rêves de nudité avec l’aventure d’Ulysse et de Nausicaa. Mais là c’est en somme un retour à l’enfance dans une période de détresse où on se retrouve tout seul sur une terre inconnue. Il se retrouve tout nu et en haillons (et donc sale) devant la belle Nausicaa qui lui apporte secours.

De l’objet perdu à l’objet a

Du texte de Freud à celui de Lacan

En 1895, au retour d’un de leur « congrès », Freud envoyait à Fliess un document sans titre qui plus tard a été nommé « Esquisse d’une psychologie scientifique » . En prenant appui sur l’arc réflexe, le couple stimulus réponse, il tentait de décrire de façon cohérente, scientifique, la structure de l’appareil psychique et de rendre compte de son mode de fonctionnement.

Entre perception et conscience, « comme on dit entre cuir et chair », Freud décrit un système psy, qui est le lieu où sont stockées, emmagasinées les traces mnésiques de l’objet, celles qui permettront de le rechercher au moment où le petit sujet en proie à la faim, sous la pression du besoin, alertera par ses cris une personne secourable qui seule pourra procurer à l’enfant les moyens de l’apaiser.
C’est ainsi que l’enfant rencontre, sous la forme de cet être secourable, sa première Autre, son Etrangère.

Et nous nous apercevons alors que ce système Psy, qui n’est autre que ce Freud appellera l’Inconscient, est constitué tout d’abord des traces mnésiques d’une expérience, l’expérience de la satisfaction, donc des traces d’une heureuse rencontre avec l’objet et de ses coordonnées de plaisir, mais aussi d’une épreuve dite « épreuve de la souffrance » quand cet objet vous fait défaut ou que dans cette quête de l’objet, se produit une mauvaise rencontre.

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